Robert Fico, le retour de notre mafieux ?

On prête à Franklin Roosevelt cette célèbre déclaration, peut être apocryphe, concernant le dictateur nicaraguayen Anastasio Somozo Garcia: « C’est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute ». Au-delà de la formule fort peu élégante, le soutien américain envers cette sinistre dictature ne s’est effectivement jamais démenti. Or c’est précisément cette phrase qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai appris au petit matin que, défiant les prédictions pourtant pessimistes des premiers « exit polls », le SMER-SD de Fico était finalement arrivé en tête des élections législatives slovaques. Car si Robert Fico est un populiste xénophobe et homophobe, une marionnette de Poutine et un homme profondément corrompu suspecté d’entretenir des liens avec la mafia, il est également, aussi incroyable que cela puisse paraitre… un membre du PSE. Son parti a parfois été suspendu mais il est parvenu jusqu’à aujourd’hui, de manière totalement incompréhensible, à échapper à l’exclusion.

Pourtant, les outrances de son leader ne datent pas d’hier : je me souviens notamment de l’une de ses interventions lors du Congrès de Prague en 2016 durant laquelle il aurait été crédible d’imaginer que Marine Le Pen ou Eric Zemmour s’étaient introduit durant la plénière afin de faire étalage de leurs idées nauséabondes. A l’époque, ses cibles avaient été les Roms et les homosexuels. Hué par les activistes et la plupart des délégués, il avait quitté le Congrès toujours membre du PSE.

Le SMER-SD, à nouveau le parti n°1 en Slovaquie

L’occasion de se débarrasser enfin de Fico avait pourtant été offerte au PSE avec la création d’un autre parti social-démocrate issu de la scission actée par l’ancien Premier Ministre et rival de Fico, Peter Pellegrini. Sans être exempt de défauts et souffrant notamment lui aussi du fléau de la corruption, HLAS-SD avait au moins eu le mérite de prendre conscience des dérives inacceptables du SMER-SD et d’adopter une ligne plus modérée. Longtemps en tête dans les sondages, ce parti paraissait même en mesure de gouverner avant que le SMER-SD n’enregistre une remontée à ses dépens, sa ligne sociale populiste ayant encore une base électorale non négligeable, notamment dans les zones les plus rurales et périphériques du pays.

Le SMER-SD redevient donc le premier parti du pays avec près de 23% des suffrages. Ses performances sont assez équilibrées sur l’ensemble du territoire, à l’exception notable de la capitale Bratislava où il est largement devancé par son rival du PS. On retrouve finalement la césure assez classique entre métropoles et périphéries sauf que cette fois, ce sont bien nos « camarades » qui se taillent la part du lion dans les périphéries. Il y aurait de quoi se réjouir… si leur réussite ne coïncidait pas justement avec la promotion d’un discours idéologique qui construit également le succès des partis d’extrême-droite dans d’autres pays européens. Sur le plan économique, le SMER-SD est effectivement de gauche, ou reste tout le moins très étatiste. En revanche, ses positions en matière sociétale ou concernant l’immigration se situent à la droite de Marine Le Pen : anti LGBT, xénophobe et anti Rom, le parti de Robert Fico est de surcroit très versé dans un complotisme associant volontiers un antisémitisme de type Protocole des sages de Sion sous la forme plus moderne mais tout aussi perverse d’un complot international qui serait fomenté par George Soros, épouvantail bien connu des antisémites des années 2020.

Le SMER-SD surfe également sur un complotisme antivax malheureusement assez répandu, la Slovaquie étant l’un des pays où le taux de vaccination anti Covid reste la plus faible d’Europe. Si toutes ces tares ne suffisaient pas, Robert Fico a ajouté ces derniers mois un « poutinisme » forcené allant jusqu’à épouser les propos les plus délirants de Vladimir Poutine en affirmant que le « fascisme ukrainien » serait la cause de la guerre et à promettre de ne plus livrer une seule arme à l’Ukraine. Malheureusement, il semble que ce discours ait fait mouche puisque le SMER-SD a obtenu ses meilleurs scores dans les zones immédiatement frontalières avec l’Ukraine.

Le PS parle à l’électorat de Bratislava

En obtenant près de 18% des voix, les libéraux du PS réalisent une performance tout à fait honorable et confirment leur entrée fracassante dans la vie politique slovaque lorsqu’ils avaient réussi à faire élire l’une des leurs, Zuzana Caputova, à la Présidence du pays. Mais contrairement à ce que prédisaient pourtant les sondages sortis des urnes au soir des législatives, ils ne seront finalement pas parvenus à devancer le SMER-SD. Ils obtiennent pourtant des scores impressionnants dans la capitale et auprès des Slovaques vivant à l’étranger mais n’ont guère réussi à capitaliser en dehors du vote jeune, urbain et diplômé. Son leader, le jeune Michal Simecka, a également été victime d’une malveillance lorsqu’un faux enregistrement lui a prêté l’intention de « manipuler le vote Rom à son profit », ce qui lui a sans doute coûté des voix et jette un véritable doute quand à la transparence de cette élection. Il est d’ailleurs à noter que les soupçons d’ingérence russe constituent malheureusement une possibilité fort réaliste. Pro Européen et pro Ukraine, le PS a effectivement tout pour déplaire au Kremlin. D’autre part, le PS tranche considérablement avec le parti de Fico en ce qui concerne les questions sociétales. On pourra toutefois regretter qu’à l’instar de bien des partis libéraux, son programme économique soit a minima centriste voire de centre droit. Très clairement, il existe un espace à prendre au centre gauche.

De ce point de vue, force est de constater que le HLAS-SD s’est montré trop timide pour l’incarner. Même si l’évolution par rapport au SMER-SD est notable et que le parti entend incarner une idéologie pro européenne et sociale-démocrate, il souffre encore de difficultés manifestes dont la corruption n’est pas la moindre. D’autre part, ce parti peine encore à trouver sa place sur les questions sociétales où il se situe entre le SMER-SD et le PS, soucieux de ne pas perdre dans les campagnes ce qu’il gagnerait à Bratislava. Cette stratégie centrale ne semble guère lui réussir puisqu’il se retrouve ainsi battu à Bratislava comme dans les périphéries. Néanmoins, son score de 14.7% le place dans l’incontestable position du faiseur de roi.

Un jeu d’alliances pour pouvoir gouverner

En effet, deux voies sont maintenant possibles pour gouverner. La première associerait le SMER-SD, HLAS-SD et le parti d’extrême-droite SNS quand la seconde rassemblerait, sous l’égide du PS, le HLAS-SD et deux des trois petits partis de droite : les chrétiens démocrates du KDH, les conservateurs de Olano ou les libertariens du SAS. Comme on peut le constater, le HLAS-SD devient la clé de voute de toute coalition potentielle. Même si la plupart des analystes considèrent que le HLAS-SD est plus proche du SMER-SD que du PS, Peter Pellegrini a insisté quant au fait qu’il ne privilégiait aucune option à ce stade. Et si la Présidente de la République, conformément à la Constitution, a demandé d’abord à Robert Fico de tenter de former un gouvernement, cela n’exclut en rien la recherche de potentielles alternatives.

Disons les choses de manière claire et nette, il serait scandaleux que le HLAS-SD choisisse de rejoindre non seulement le SMER-SD mais également l’extrême-droite néo fasciste du SNS, ce même parti avec lequel une première alliance antérieure avait entrainé la suspension du SMER-SD par le PSE lorsque le PSE avait défini SNS comme étant un parti « incitant à la haine raciale ». Gouverner avec le PS et deux partis de droite ne serait, certes, pas l’idéal mais elle offrirait au HLAS-SD la possibilité de s’affirmer en tant que mouvement social-démocrate en obtenant des concessions importantes en matière sociale en échange de leur soutien. Et de tourner définitivement le dos au faux frère du SMER-SD. Il est de surcroit notable que le PS semble être prêt à bien des sacrifices afin de bâtir cette coalition puisque son leader a déclaré qu’il était ouvert à la possibilité que Peter Pellegrini devienne éventuellement le Premier Ministre d’un tel gouvernement, et cela malgré la position dominante du PS.

Un gouvernement dirigé par Fico constituerait en revanche une nouvelle épine dans le pied de l’Union Européenne. Viktor Orban retrouverait alors un allié crédible avec lequel il s’entend comme larron en foire. Autre motif d’inquiétude, ce résultat intervient au moment où le PIS polonais, qui affronte à son tour une élection indécise dans une petite semaine, n’a pas hésité à jeter aux orties pour de bas motifs électoraux l’amitié jusque là indéfectible entre la Pologne et l’Ukraine. Pas certain que le résultat slovaque le fasse changer de ligne.

Enfin, comment ne pas terminer par le commencement, afin que « notre » mafieux devienne seulement « un » mafieux. Les choses commencent enfin à bouger au sein du PSE. Son Président, Stefan Lofven, a déclaré qu’il serait attentif et que si le SMER-SD continue à défendre des positions anti ukrainiennes, il lancerait la procédure d’exclusion. Il me semble qu’il ne faut pas perdre de temps et l’entamer dès maintenant. Et pour une raison fort simple : une procédure d’exclusion envers le SMER-SD pourrait avoir son influence quant au positionnement de HLAS-SD dans les négociations pour la formation du nouveau gouvernement. Et en l’occurrence, c’est dès maintenant que les choses se passent.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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4 Commentaires

  1. Pamphlet long, puant la subjectivité fasho-yankee, monsieur Poupon: vos déclarations sont consternantes : prenez donc contact avec Jef Mackler et Joe Lombardo et lisez le
    livre de notre ami helvètique (ex OTAN member) qui vient de sortir.

    • Bien sûr, à titre posthume et loin de toute considération américanophile, il ne paraît pas si difficile d’imaginer quelle appréciation porteraient en regard de vos propos les « facho-yankees » qui ont donné leur vie sur les plages de Normandie en juin 1944.

      Mais, outre le fait que ce commentaire ne brille pas par sa clarté en « balançant » des noms dont la notoriété n’est pas si évidente, il présente surtout le défaut d’une dramatique superficialité sur le terrain de la méthode: on peut être en désaccord avec l’analyse approfondie développée, en bon connaisseur des enjeux électoraux, par Sébastien Poupon… mais, au moins, celle-ci a le mérite de présenter des faits et d’argumenter.

      SVP, faites au moins l’effort de comprendre que l’art de la politique – ne peut se réduire à une vague logomachie héritée des discours de la Guerre dite « froide » – et ce alors que votre maître à penser présumé, le regrettable plus que regretté Staline, n’est plus de ce monde depuis quelque temps déjà.

      En conséquence, il n’est peut-être pas illégitime de déplorer que, dans un échange à vocation démocratique – qui est dans l’ADN de « Sauvons l’Europe » – le « cri (assourdissant) des tripes » s’oppose parfois au calme réfléchi du cerveau.

  2. Bonjour.

    Je rejoins à 100% le commentaire de Monsieur VERNIER.

    Certains commentaires sont parfois nauséabonds, c’est regrettable.

    Pour en revenir à l’article, le résultat de cette élection démontre l’erreur monumentale commise par l’UE en acceptant en son sein ces pays en n’ayant pas auparavant finaliser la construction européenne.

    On veut en plus en accueillir des nouveaux ?

    Cette élection est un des résultats de la volonté de nos dirigeants actuels d’ignorer l’influence actuelle et passée de la Russie sur les peuples des pays de l’Est, s’ajoute également une grande confusion entre les orientations politiques prises par les différentes nations et l’Europe.

    Ce manque de clarté est une véritable aubaine pour le populisme, le complotisme et les partis extrémistes, ils surfent dessus, cette vague ne fait que s’étendre, rien n’est fait pour l’endiguer ?

    • A mon tour de rejoindre à 100 % le commentaire publié par Mylord. A s’obstiner à mettre la charrue avant les boeufs avec des élargissements précipités et mal négociés – comme le montre, avec le recul, le fâcheux précédent de 2004 – on expose le champ à cultiver à produire davantage d’ivraie que de bon grain.

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