Ambassadeur et chef de la mission de Palestine en France, Salman El Herfi, né en 1944 a notamment représenté l’Autorité palestinienne en Afrique du Sud, au moment de la fin de l’Apartheid et en Tunisie, au moment de la révolution du jasmin. Il a accepté de répondre aux questions du Sauvons l’Europe.
1) Considérez-vous que la diplomatie européenne joue un rôle positif quant à la résolution du conflit israélo-palestinien ?
Nous sommes reconnaissants envers l’UE et la France pour le rôle qu’ils jouent.
Notre objectif est de mettre fin à l’occupation et de permettre l’établissement d’un Etat palestinien, souverain, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, en Cisjordanie et d’accéder à l’indépendance. Dans ce cadre, nous sommes plutôt satisfaits de l’action diplomatique courageuse de l’Union européenne. Par exemple, l’UE a récemment décidé que les produits provenant des colonies, implantées illégalement au regard du droit international, seront systématiquement étiquetés comme provenant de colonies. Il s’agit d’un acte technique mais qui revêt pour nous une grande portée politique. De plus, dans une déclaration de 2012, l’UE affirme qu’elle soutient la résolution du conflit sur la base de deux Etats dans les frontières du 4 juin 1967. Nous revendiquons également cette solution.
2) La décision de l’UE d’étiqueter les produits provenant des colonies est-elle une victoire pour vous ?
L’étiquetage des produits est un acte technique à forte portée politique. C’est une affirmation du respect du droit international : pour nous, il n’est pas question de victoire ou de défaite mais de l’application de ce droit. L’occupation est illégale ; Israël étant habitué à ne pas respecter le droit international et les résolutions de l’ONU, l’UE a donc su envoyer un signal fort au gouvernement israélien mais aussi un message au peuple israélien.
L’UE a des relations bilatérales avec Israël et coopère avec ce pays dans de nombreux domaines, on peut donc dire que c’est un ami d’Israël. Or, le véritable ami est celui qui vous dit lorsque vous vous trompez ou lorsque ce que vous faites est malhonnête ; c’est celui qui sait vous éloigner du mauvais chemin. C’est bien ce que l’UE a fait avec sa récente décision sur les produits issus des colonies en rappelant que la colonisation et toute présence israélienne en Palestine étaient illégales.
3) Malgré tout, la situation sur le terrain semble aujourd’hui bloquée. Pensez-vous que l’UE puisse jouer le rôle moteur délaissé par les Etats-Unis ?
Soyons honnête, le blocage provient essentiellement du gouvernement israélien, soutenu aveuglément par les Etats-Unis. Ce soutien indéfectible des Etats-Unis devient d’ailleurs de plus en plus surprenant : a-t-on déjà vu pays ami, qui verse des milliards de dollars par an à son allié, se faire insulter sur son sol comme l’a fait Benyamin Netanyahou avec Barack Obama ?
De notre côté, nous ne demandons pas la lune. Simplement l’application des accords signés avec Israël et le respect des droits humains. Nous avons déjà fait une concession historique en cédant 78% du territoire à Israël. Malgré cela, l’occupation se poursuit en Cisjordanie avec son lot d’humiliations quotidiennes. Au gouvernement israélien qui nous oppose le droit de la force, nous entendons répondre avec la force du droit. Aujourd’hui, les Etats-Unis ne sont plus un partenaire fiable. En revanche, l’UE peut l’être.
Le conflit entre Palestiniens et Israéliens est très simple en ce que les actions d’Israël se lisent comme une longue litanie de crimes contre le peuple palestinien : légalisation de la torture, de l’assassinat extrajudiciaire, punition collective de tout un peuple… Israël provoque la violence de manière constante depuis les accords d’Oslo. Les Etats-Unis n’étant plus ce partenaire de paix fiable que nous recherchons, l’UE peut jouer un rôle majeur dans l’émancipation des Palestiniens.
4) L’Union européenne est constituée de pays souverains qui peuvent avoir des appréciations différentes du conflit israélo-palestinien. On pense par exemple à la France qui a pu avoir une politique que l’on peut qualifier de relativement pro-arabe par rapport au Royaume-Uni qui est plus atlantiste. Comment donc l’Europe pourrait-elle être une puissance diplomatique dans ce conflit ?
Je comparerais volontiers l’Union européenne à une famille. Dans une famille, il peut y avoir des divergences, cela est normal. Cependant, chacun à son rythme, les pays d’Europe avancent dans la reconnaissance des droits des Palestiniens.
Récemment, la Suède a par exemple reconnu l’Etat de Palestine. Les opinions publiques ont là un rôle essentiel à jouer.
Regardez, moi qui ai vécu en Afrique du Sud au moment de la fin de l’Apartheid, je me rappelle d’une époque où Mandela était considéré comme un « terroriste ». Aujourd’hui, il est unanimement salué comme un homme de paix. J’observe également que la radicalisation de la société israélienne est très similaire à celle des populations blanches d’Afrique du Sud durant les années qui ont précédées la fin de l’Apartheid.
Pour notre part, nous constatons avec plaisir que les opinions publiques européennes sont de plus en plus favorables à la création d’un Etat palestinien et à la fin de l’occupation depuis 1967 des territoires palestiniens y compris Jérusalem-Est. Or, les opinions publiques peuvent faire basculer leurs dirigeants. Nous sommes convaincus que tôt ou tard, les pays de l’UE reconnaîtront à leur tour l’Etat de Palestine et nous n’avons jamais perdu l’espoir d’être, un jour, maîtres de notre destin et indépendants. Les autorités israéliennes peuvent continuer à ignorer le cri de justice du peuple palestinien, mais pas pour toujours. Tôt ou tard la justice triomphera.
5) Comment la diplomatie palestinienne conçoit-elle la perspective d’une éventuelle entrée de la Turquie dans l’UE ?
Il ne nous appartient pas de commenter les négociations entre l’UE et la Turquie. L’UE est libre d’entamer des discussions bilatérales avec les parties qu’elle souhaite. De même, l’UE est libre d’accepter ou de ne pas accepter en son sein les pays avec lesquels elle négocie.
6) Pour finir, souhaitez-vous adresser un message particulier aux lecteurs de Sauvons l’Europe ?
Je voudrais leur dire que l’Union européenne a un rôle historique à jouer dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Historiquement l’Europe porte des valeurs d’humanité, d’égalité et de respect du droit des peuples à l’autodétermination. Elle ne peut donc tolérer d’avoir à ses frontières, un peuple qui vit sous l’occupation d’un autre peuple. L’accès, pour le peuple palestinien, à un état indépendant et dont les frontières sont reconnues par la communauté internationale est une nécessité pour la paix au Proche-Orient.
Les humiliations que vivent les Palestiniens alimentent les rancœurs dans l’ensemble du monde arabe et déstabilisent profondément cette partie du monde. L’Europe peut et doit être un moteur de la paix en raison des valeurs qu’elle entend incarner.
Propos recueillis par Aissa Ghalmi et Mehdi Mahammedi-Bouzina
Une idée, farfelue à la première et aussi à la deuxième lecture, mais peut-être sensée à la troisième: et si la Palestine rejoignait l’EU?
Amitiés
Marc
L’ analyse de Salman El Herfi est excellente bien qu’ un peu trop diplomatique
eu égard à la position » arabophile » de l’ hexagone !!
Il faut absolument que le droit et les résolutions internationales soient appliquées partout dans le monde sans exception. Il faut éviter que le non respect des règles par certains États ne serve aux intégristes de tout bord et en particulier de Daech. Œuvrons pour la Paix
J’approuve la pensée de Salman El Herfi. Les Israéliens font subir au peuple palestinien ce qu’on leur a fait subir avant. La haine ne mène nulle part.
Plutôt d’accord. Voilà des années que j’essaie de convaincre que le conflit israelo-palestinien est la source de beaucoup de nos maux. Et comment ne pas souffrir avec ce peuple lorsque l’on voit le dénuement dans lequel les habitants sont, les tragédies vécues ar les familles !
Daniel Shek, un ancien ambassadeur d’Israël en France, a participé récemment à une réunion publique à laquelle j’ai assisté. Shek s’est exprimé sur l’occupation des territoires d’une manière originale. Il présente comme suit l’attente de sécurité à laquelle la population israélienne est attachée, à juste titre, et que je comprends très bien. Shek distingue:
-la microsécurité, qui est la possibilité de prendre un autobus sans craindre la présence dans celui-ci d’un terroriste kamikaze
-la macrosécurité, qui assure l’existence de l’état d’Israël à l’échelle de plusieurs générations.
Combien d’israéliens font ils cette distinction ? Mais la colonisation des territoires de cisjordanie ne contribue pas de manière évidente à la microsécurité alors qu’elle constitue certainement un obstacle à la macrosécurité.