« Swissleaks » & Afrique : quel rôle pour l’Union européenne ?

Le nouveau scandale financier Swissleaks, qui révèle au grand jour un beau secret de Polichinelle, fait état d’un vaste système d’évasion fiscale mis en place par la filiale suisse de la banque HSBC pour la période 2006-2007. Et un de plus à ajouter à une liste a priori exponentielle, mais restons optimiste !

Outre les répercussions potentielles sur la carrière de Gad Elmaleh, ces révélations ont profondément touché de nombreux pays africains. L’évasion fiscale se veut au final presque démocratique – ne poussons pas non plus – et ces derniers y trouvent aussi leur compte, à des degrés divers (Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Mali, Erythrée…). Notons d’ailleurs la curieuse absence du Togo des données de HSBC, sur laquelle Sauvons l’Europe reviendra dans un prochain article. Les sommes associées aux dix premiers pays africains affectés par cette évasion atteignent ainsi pas loin d’onze milliards de dollars.

Ce scandale nous ramène au cœur de la problématique du développement de l’Afrique, qui souffre d’une pandémie dont le remède peine à être trouvé : la corruption, le détournement de fonds (dont ceux de l’aide au développement) et le pillage de ses ressources, pour ne citer que les douceurs les plus visibles.

L’ancien chef d’Etat sud-Africain, Thabo Mbeki, présidait en 2011 un panel de haut niveau au sein de la Commission économique des Nations-Unies. Un de ses rapports attestait que le PIB par habitant aurait augmenté de 15 % si les fonds qui quittaient l’Afrique illégalement étaient restés sur le continent. Cette somme dépasse le montant de l’aide publique au développement dont bénéficie l’Afrique, soit 46,1 milliards de dollars en 2012. Début Février 2015, un nouveau rapport a été rendu, dont les résultats sont sans appel : les flux financiers illégaux quittant l’Afrique représenteraient une perte de 50 milliards de dollars par an pour ces pays.

Une fois noyé par des sommes dont le montant ne peut qu’être imaginé par le citoyen européen, que faire ?

Dans ce domaine, de nombreuses propositions sont faites par les organisations de la société civile et relayées aux niveaux national et européen. L’Année européenne du Développement, ponctuée par différents thèmes en 2015, offre un contexte plus que propice pour obtenir une certaine écoute de la part de nos dirigeants.

Ainsi, une initiative vient d’être lancée par la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires pour demander à l’Union Européenne d’interdire les sociétés-écrans, instruments qui permettent de cacher l’identité du propriétaire réel d’un compte ou d’une société, et qui sont au cœur du scandale de Swissleaks. L’UE a récemment échoué à mettre en place un registre public de ces bénéficiaires, échec que l’on peut attribuer au fait que plusieurs pays, y compris au sein de l’UE, continuent d’offrir la possibilité de créer ces sociétés.

Lors d’une rencontre à l’Assemblée nationale le 11 février 2015, le député socialiste Yann Galut a proposé qu’un statut juridique spécial soit créé pour les lanceurs d’alerte, à l’instar d’Hervé Falciani qui a révélé l’affaire Swissleaks ou Antoine Deltour pour Luxleaks.

Certaines avancées notables ont déjà été réalisées, à l’instar de l’échange automatique de données fiscales. Cette mesure a été adoptée lors de la réunion du Forum fiscal mondial des 29 et 30 octobre 2014 et vise à lutter contre la fraude des particuliers. Toutefois, cet accord n’est pas complètement multilatéral : la Suisse dispose ainsi de la possibilité de n’échanger qu’avec l’Union européenne et les Etats-Unis, mais pas avec le Nigéria.

Par ailleurs, le plan BEPS de l’OCDE comprend un reporting pays par pays et vise à lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale des entreprises. Le CCFD-Terre Solidaire appelle à ce que soient publiées les informations de ce reporting, soit le bénéfice, le chiffre d’affaires, le nombre d’employés, les impôts payés par toutes les entreprises dans chacun des pays où elles sont présentes. Or, l’OCDE oblige désormais les entreprises qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros à fournir ces informations, mais seulement aux administrations fiscales des pays avec lesquels celui de la maison mère a déjà un accord. Les clauses de confidentialité nécessaires pour obtenir ces informations sont telles qu’elles excluent de fait, à nouveau, les pays en développement.

Ces outils n’impliquent pas, donc ne responsabilisent pas, les pays en développement, pourtant touchés de plein fouet par cette fuite de capitaux et dépendants de l’aide publique au développement. C’est pourquoi le CCFD-Terre Solidaire appelle à la création d’un organisme intergouvernemental au sein des Nations-Unies, dont pourraient faire partie ces pays.

On le voit, le progrès s’amorce lentement mais sûrement… A nous, citoyens européens, de le soutenir à notre modeste échelle pour que cesse cette hémorragie financière au détriment qui s’opère chaque jour au détriment du plus grand nombre.

 

Solen Menguy

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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7 Commentaires

  1. Présentez vraiment la proposition d’enquête parlementaire que vos députés ont retirée (de grands audacieux) et votez -la. Et poursuivez Juncker ou vous allez faire croire que c’est un chef de gang et vous, les seconds couteaux . Comme si c’était possible ….

  2. Plutôt que des références boiteuses, telles Galut ou Falciani, lisez le livre de Gabriel Zucman « la richesse cachée des nations ».

    Au sujet de la fraude, où en est celle qui concerne les VERTS sur le financement de leur immeuble et les « formations » des élus, propédeutique de Bygmalion?

    Ce scandale nous ramène au cœur de la problématique des partis politiques, qui souffrent d’une pandémie dont le remède peine à être trouvé : la corruption, le détournement de fonds (dont ceux de la formation) et le pillage de ses ressources publiques, pour ne citer que les douceurs les plus visibles.

    • De Juncker, peu à attendre. La question, c’est si le système politique européen est d’un seul bloc, ou non? Nous pensons que non et allons tenter de pousser des choses.

  3. D’abord, l’évasion fiscale est anti-démocratique par nature ! Elle accentue les inégalités et diminue l’argent public qui vise à les réduire.
    Les révélations « SwissLeaks » ont le mérite de mobiliser l’opinion mondiale sur l’ampleur du phénomène et d’indiquer les mesures qui seraient efficaces si les dirigeants avaient la volonté de les prendre et faire respecter (cf. l’article de Gabriel Zucman dans Le Monde du 16/02 : « Frappons plus durement les paradis fiscaux »).
    Les USA, par leur puissance, peuvent prendre des mesures d’une certaine efficacité, surtout quand elles sont reprises par d’autres comme l’UE. Mais seule une autorité mondiale du type FMI pourra imposer une régulation au système financier. Car pour l’instant, l’évasion, la corruption, sont toujours en avance d’une guerre. Les États ne les maîtrisent pas et ramassent des miettes !
    Quant à l’UE, de récents reportages ont montré à quel point la Commission est peu indépendante des groupes de pression comme les industries du tabac. Et la règle de l’unanimité est paralysante, sur ce point notamment.
    Enfin, il est urgent que l’UE dans son ensemble ait une politique africaine et ne s’en remette plus à la seule France, en matière de lutte contre l’évasion fiscale ou le terrorisme.
    Décidément, la mondialisation est un enjeu qui nécessite le renforcement d’une opinion mondiale capable de lutter contre ses « mauvais côtés ».

    • Qu’entendez-vous par « il est urgent que l’UE dans son ensemble ait une politique africaine « ?

      C’est en effet dès 1963, après une transition assurée par le Traité de Rome de 1957 parallèlement à l’accession à l’indépendance des pays africains, qu’une convention signée à Yaoundé associait 17 Etats africains (essentiellement francophones) ainsi que Madagascar à une politique de coopération entreprise à leur intention par les 6 Etats membres de la « CEE » initiale. Par la suite, cette association a été renouvelée en 1969 puis s’est considérablement étendue à partir de la Convention de Lomé de 1975 qui a englobé parmi les bénéficiaires une grande partie des Etats africains anglophones dans le sillage de l’adhésion britannique à la CEE. A l’heure actuelle, à la faveur d’une extension progressive de l’ « association » , c’est toute l’Afrique subsaharienne qui se trouve impliquée dans une relation de partenariat avec l’UE dans son ensemble, à la faveur de l’accord de Cotonou, signé en 2000, puis renouvelé en 2005 et en 2010.

      Le concept d’ « UE dans son ensemble » est d’autant moins hasardeux que, parmi les dispositions du Traité de Lisbonne actuellement en vigueur, l’article 208, qui sert de fondement à la politique de l’Union dans le domaine de la coopération au développement, pose expressément le principe que cette politique et celles des Etats membres « se complètent et se renforcent mutuellement ».

      En pratique, outre les diverses formes de coopération graduellement mises en oeuvre depuis 1958 (coopération commerciale, industrielle, agricole, financière et technique), on notera qu’au sommet Afrique-UE de Lisbonne (décembre 2007), les chefs d’Etat ou de gouvernement africains et européens ont adopté une « Stratégie commune Afrique-UE », succédant elle-même à une « Stratégie de l’UE pour l’Afrique » définie deux ans plus tôt. Ce changement d’optique (d’une stratégie unilatérale à une stratégie commune) n’est pas tout à fait neutre par rapport à la dynamique de « partenariat » inhérente à l’accord de Cotonou.

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