Le 28 mars 2024, après cinq années de négociations menées par la Commission européenne, le Président Emmanuel Macron annonçait à Sao Paulo que « l’accord UE-Mercosur tel qu’il est aujourd’hui négocié est un très mauvais accord, pour vous et pour nous », invoquant le manque de protection de l’environnement, les craintes sur la sécurité alimentaire et l’impact sur la déforestation. Depuis, sa conclusion a été mise au point mort le temps des élections européennes.
Les accords de libre-échange de l’Union européenne avec des Etats tiers ou des organisations régionales représentent pourtant un axe majeur de développement de la politique commerciale commune, particulièrement depuis les échecs des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au début des années 2000. L’Union européenne entretient des relations commerciales avec la plupart des Etats du monde. En 2016, elle a signé le premier accord d’une nouvelle génération avec le Canada intitulé Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), avec le Japon (JEFTA) en 2018, Singapour en 2019, le Vietnam en 2020, le Royaume-Uni en 2021 à l’issue du Brexit, la Nouvelle-Zélande en 2022, le Chili en 2023… D’autres sont en cours de négociation avec l’Australie, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Corée du Sud… et le Mercosur. Ces accords de libre-échange, bien qu’imposant le respect des normes européennes à l’égard des produits et services importés, ne contiennent pas d’obligations de protection de l’environnement ou des droits de l’homme dans les pays partenaires. Le juste milieu s’avère délicat, par crainte aussi de jouer les moralisateurs occidentaux.
L’UE comme 2e partenaire économique du Mercosur
Issu du traité d’Asunción du 26 mars 1991, « el Mercado Común del Sur » (Marché commun du Sud), connu sous son acronyme espagnol « Mercosur » – ou « Mercosul » en portugais – se compose actuellement de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. La République bolivarienne du Vénézuéla de Nicolás Maduro en a été suspendue en 2016, à l’unanimité des autres membres, pour ne pas se conformer à la libre circulation des marchandises et rompre avec l’ordre démocratique – procédure de suspension par ailleurs dont l’UE pourrait bien s’inspirer. Depuis décembre 2023, la Bolivie a initié son processus d’adhésion. S’il a vocation à couvrir toute l’Amérique du Sud, le contexte politique n’a pas permis d’intégrer pleinement le Chili, la Colombie, l’Équateur, la Guyana, le Pérou et le Surinam qui n’en sont que membres associés. Les quatre actuels Etats du Mercosur atteignent 274 millions d’habitants et un PIB de 2,8 trilliards d’euros, le Brésil représentant à lui seul 217 millions d’habitants et 55% du PIB du Mercosur. Ces seuls chiffres lui octroient une position de leadership qui ne facilite pas l’équilibre régional.
Deuxième partenaire économique du Mercosur (16,9 % du commerce), l’Union européenne y a exporté des marchandises surtout dans les secteurs des machines et appareils, produits chimiques et pharmaceutiques et matériel de transport pour un montant de 55,7 milliards d’euros en 2023. Le Mercosur affiche un chiffre d’exportation similaire à hauteur de 53,7 milliards d’euros couvrant principalement les produits minéraux et végétaux, les denrées alimentaires, les boissons et le tabac et les produits. Les services et investissements financiers y sont également en pleine expansion. La direction générale du Commerce (DG Trade) publie une carte interactive des entreprises européennes actives en Amérique du Sud illustrant la vivacité des échanges commerciaux. Ainsi qu’a pu le démontrer la professeure Anu Bradford (The Brussels Effect, Oxford University Press, 2020, p. 189), l’influence commerciale de l’UE a poussé les partenaires comme le Brésil à aligner leurs législations dans de nombreux secteurs, notamment pour exporter les produits agro-alimentaires. Elle prend l’exemple brésilien de l’interdiction dès 2001 de l’injection des hormones de croissance pour favoriser la croissance du bétail. En ce sens, libéraliser les échanges serait vecteur de meilleurs pratiques et d’une standardisation par le haut.
Dès 1995, l’UE et le Mercosur se sont engagés dans un accord-cadre de coopération, entré en vigueur le 22 mars 1999. Celui-ci prévoit explicitement l’accès au marché, la libéralisation progressive des échanges (90% des marchandises sont soumises à des droits de douane et/ou des quotas) et les disciplines commerciales, telles que les pratiques commerciales restrictives, les règles d’origine (notamment les indications géographiques européennes), la détermination des produits sensibles et des produits prioritaires, la coopération économique et l’échange d’informations pour faciliter les échanges. La DG Trade a structuré le projet d’accord final en 39 annexes et protocoles qui rendent sa compréhension compliqué par les non-initiés. L’objectif consiste, entre autres, à diminuer les taxes qui peuvent atteindre 14% dans le pharmaceutique, 18% pour les produits chimiques ou 35% dans les secteurs automobiles ou le textile. Des secteurs prolifiques notamment pour les entreprises allemandes favorables à sa conclusion.
Des ONG européennes pointent l’utilisation abusive de pesticides
L’importation de produits agricoles et de viandes inquiète particulièrement les Européens en raison des différences des coûts de production. Actuellement, l’UE importe 200 000 tonnes de viande bovine par an en provenance des pays du Mercosur, appliquant des droits d’importation oscillant entre 40 et 45%. L’objectif affiché consisterait à autoriser l’entrée sur le marché européen de 99 000 tonnes de bœuf avec un droit réduit à 7,5%. L’ouverture du marché contient ainsi des exceptions pour protéger les éleveurs européens.
Les ONG européennes pointent aussi du doigt l’utilisation abusive de pesticides en Amérique du Sud. En 2023, Greenpeace a publié un rapport démontrant la présence quasi systématique de pesticides dans les fruits brésiliens commercialisés en Europe, prenant l’exemple du glyphosate. Paradoxe de l’histoire, leur étude relevait qu’ « un tiers des substances actives détectées sont également présentes dans des pesticides vendus au Brésil par les sociétés européennes BASF et Bayer ». Depuis 2021, le collectif Stop CETA-Mercosur et nombreuses organisations, à l’instar de la Ligue des droits de l’homme, appellent à son abandon.
En mai 2024, Rupert Schlegelmilch, négociateur en chef de l’UE pour l’accord UE-Mercosur, a annoncé que sa conclusion aboutirait à l’issue des élections européennes. Un sujet de plus à l’agenda de rentrée de la Commission Van Der Leyen II.
Un état des lieux exhaustif bien intéressant, mais qui me laisse sur ma faim. J’attends d’un site comme SLE des prises de position par rapport aux grands traités de libre échange, leurs fondements et leurs effets, mais aussi la manière secrète dont ils sont négociés par la Commission, tout cela en conformité avec les fondamentaux définis sur ce même site le 3 janvier 2022. Bref, un regard critique sur le fond et la forme.
Les « grands traités de libre échange » comme vous les appelez méritent en effet une réflexion approfondie – si possible en surmontant préjugés et idées reçues.
Cela étant, en me fondant sur ma propre expérience des relations extérieures de l’UE, je pense utile de « mettre dans la corbeille » deux considérations:
– d’une part, si la Commission est investie d’une mission de négociation, on ne doit pas méconnaître que c’est sur la base d’un « mandat » rigoureusement défini par les États membres de l’Union … auxquels, périodiquement, elle rend compte de l’avancée des discussions avec les partenaires intéressés par le contenu de l’accord – ce qui donne lieu à discussion dans les instances appropriées
– d’autre part, à l’intérieur-même de la Commission, dans le domaine des accords de nature commerciale, le chef de file reste, sous l’impulsion du commissaire responsable, la Direction générale du Commerce. Celle-ci, chargée de la mise en œuvre d’une compétence éminente de l’UE – et à l’instar des puissants ministères des Finances au niveau national – occupe une place centrale dans le processus de négociation. En particulier, j’ai le souvenir d’une position très « (ordo)libérale » de cette dernière lorsqu’il s’est agi de définir le régime des échanges avec les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique… et ce à la différence de Direction générale chargée de la coopération au développement, beaucoup plus ouverte, par vocation sinon par culture, aux préoccupations des pays du Tiers Monde. Hélas ! le commerce l’a finalement emporté sur le développement…
Précision (même si inutile): bien entendu, mon commentaire constituait une réponse à Yves Herlemont
Merci pour cette corbeille bien remplie.
Ma conclusion : à la fin de la partie, c’est toujours le marché capitaliste qui gagne !