Un air de Weimar en Allemagne de l’Est avant « l’automne des décisions » à Berlin

Les élections au Brandebourg (le 22 septembre dernier) clôturaient un cycle d’élections régionales dans trois Länders d’Allemagne en l’espace de trois semaines, les deux autres élections s’étant tenues en Saxe et en Thuringe le 1er septembre. Les prochaines élections régionales auront lieu en mars 2025 à Hambourg. Elles seront suivies des élections fédérales le 28 septembre 2025. La fin du cycle électoral en Allemagne de l’Est marque donc le début du compte à rebours de l’année de la dernière chance pour la « Ampel », la coalition « feu tricolore » du SPD, des Verts et des Libéraux.

Résultat des élections au Brandebourg et coalitions possibles

Source : Landtagswahl in Brandenburg 2024: Alle Ergebnisse im Überblick – Der Spiegel

Une victoire électorale du SPD en trompe-l’œil, la coalition gouvernementale défaite

Si le SPD (30,9%, +4,7%) emporte les élections au Brandebourg d’une courte tête devant l’extrême droite (AfD, 29,2%, +5,7%), il s’agit avant tout d’un exploit personnel de sa tête de liste Dietmar Woidke, ministre-président sortant, qui a tout misé sur une personnalisation de la campagne et, en annonçant son retrait si le SPD n’arrivait pas en tête, sur une polarisation SPD-AfD. En tenant par ailleurs le chancelier Scholz ouvertement à l’écart de la campagne, la victoire du SPD est presque embarrassante pour le chancelier et ne lui offre pas vraiment de répit.

Mais la situation des partenaires du SPD dans la coalition gouvernementale n’est pas plus enviable.

Les Verts ne sont plus représentés que dans l’un de ces trois parlements régionaux de l’Est (en Saxe). Les défaites ont conduit la présidence nationale du parti à démissionner. Le FDP a pour sa part complètement disparu de la scène politique régionale, en récoltant moins de 1% au Brandebourg. Jamais peut-être le désaveu d’un gouvernement fédéral en Allemagne n’avait été plus sévère. Et jamais dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne, tant de citoyens ont voté en faveur de partis politiques situés aux extrêmes du spectre politique.

L’AfD apparaît comme le grand gagnant de ce cycle électoral en arrivant une fois en tête (Thuringe) et deux fois à la deuxième place. Illustration de cette percée : au Brandebourg, il devance le SPD de 13% (33% contre 20%) dans la catégorie des électeurs de 25 à 34 ans.

Sachant que l’AfD ne cherche même pas, contrairement à d’autres partis d’extrême-droite en Europe, à donner des gages de respectabilité et assume ouvertement son caractère xénophobe comme illustré par les pancartes (« Expulser par millions ») et les chants lors de sa soirée électorale au Brandebourg (« Nous allons tous les expulser »).

Dans le même temps, l’Alliance Sahra Wagenknecht (Bündnis Sahra Wagenknecht, BSW), mouvement national-populiste de gauche, parvient sur l’autre bord de l’échiquier politique à réaliser un exploit sans précédent dans l’histoire du parlementarisme en République fédérale d’Allemagne. Créé en janvier 2024 seulement, le parti obtient des scores à deux chiffres dans les trois Länders.

Un air de Weimar

Dans les faits, aucun gouvernement régional dans ces trois Länders ne peut être formé contre les deux partis extrêmes pris ensemble. Même si le BSW, en tant que successeur de Die Linke également pulvérisée, et l’AfD ne veulent pas (encore) faire cause commune, cette constellation n’est pas sans rappeler les rapports de force de la fin de la République de Weimar. Rappelons en passant que Weimar se situe en Thuringe et que la Thuringe avait été le premier Land dans lequel les National-Socialistes avaient participé à un gouvernement régional en 1930.

Il est vrai cependant que les causes de la polarisation sociale sont différentes de celles de l’époque de Weimar. Ce n’est pas la crise économique et le chômage de masse qui ont conduit à un taux de participation exceptionnellement élevé au Brandebourg (72,9%, +11,6%) mais plutôt l’évolution du dossier migratoire.

D’après l’institut de sondage Dimap, la majorité des électeurs au Brandebourg estimait encore en 2019 que l’Allemagne était à la hauteur des tâches liées aux mouvements migratoires. Depuis, la tendance s’est inversée. Selon Dimap, cette inversion ne relèverait pas d’une xénophobie mais s’expliquerait plutôt par un mélange de perceptions socio-culturelles (la crainte des étrangers et ou l’augmentation de la criminalité en lien avec la migration) et socio-économiques (la prise en charge des migrants au détriment des obligations de l’État en matière de Services publics). À cela s’ajoutent en Allemagne de l’Est des sentiments profonds contre l’intégration de l’Allemagne dans la communauté internationale occidentale, qui, conjugués à une identification avec l’Union soviétique, se traduisent par un refus d’apporter un soutien financier et militaire à l’Ukraine.

Ceux qui voulaient s’opposer à cette crise identitaire se sont mobilisés au Brandebourg derrière la bannière du SPD. Les Verts ont payé le prix le plus élevé pour cette polarisation avec un transfert de voix vers le SPD de près de 50 000 électeurs, soit 40% de leur réservoir électoral des élections précédentes. Par contre, le SPD espérait également récolter des transferts de voix en provenance de la CDU mais ce sont in fine l’AfD et le BSW qui ont bénéficié de tels transferts, venant notamment des électeurs les plus âgés.

Les élections en Allemagne de l’Est ne peuvent-elles plus être gagnées au centre? Si tel était le cas, le SPD, les Verts et le FDP n’auraient pas recueilli ensemble au Brandebourg environ 50% des voix lors des élections fédérales de septembre 2021.

La question est donc de savoir quelles politiques pourraient amener les électeurs de l’AfD et du BSW à élire d’autres partis. Ou est-ce finalement, comme à Weimar, une question identitaire et même plus une question de politiques à mener qui conduit au choix des extrêmes ?

Un automne des décisions à Berlin

La coalition gouvernementale berlinoise dispose d’un an jour pour jour pour inverser la tendance. Se tenir au bord du précipice conduira-t-il à un sursaut en termes de cohésion de la coalition? 49% des Allemands en doutent.

Trois chantiers promettent un automne politiquement chaud à Berlin :

  • L’avenir des retraites
    Le SPD souhaite fixer le niveau de la pension légale à 48 % du revenu moyen d’ici à 2039, tandis que le FDP cherche à transposer en Allemagne le modèle de retraites suédois qui combine un régime en comptes notionnels et un régime par capitalisation auxquels s’ajoutent des retraites supplémentaires d’entreprise et un minimum garanti.
  • Le Budget
    La coalition gouvernementale doit économiser 12 milliards d’euros pour combler le déficit de financement. Le FDP a deux lignes rouges : ni nouvelles dépenses ni augmentation de l’impôt. Le FDP s’oppose également à une révision de la règle d’or allemande, ce « frein à l’endettement » inscrit dans la Constitution qui limite le déficit structurel annuel à 0,35 % du PIB  (« Schuldenbremse ») alors que même une partie de la CDU en admet la nécessité.
  • Les emplois industriels
    L’industrie allemande traverse une crise illustrée par la menace de fermeture de deux usines Volkswagen. Des idées telles qu’une nouvelle « prime à la casse » pour les voitures thermiques ou un prix de l’électricité industriel bonifié sont au cœur des débats.

Au regard de l’impact qu’ont eu les questions internationales dans les campagnes des élections en Saxe, en Thuringe et au Brandebourg, l’élection à la Maison Blanche et l’évolution des conflits majeurs – en particulier la guerre en Ukraine – seront des paramètres décisifs mais hors contrôle de la coalition gouvernementale. Ils détermineront aussi dans une large mesure la durabilité des coalitions couleur mûre (« Brombeerkoalitionen »), c’est-à-dire avec participation gouvernementale du BSW, qui devraient prochainement voir le jour dans ces trois Länders d’Allemagne de l’Est.

Sondage au niveau national (27 septembre) Politbarometer de la ZDF

Source : ZDF-Politbarometer: Merz in K-Frage leicht vor Scholz – ZDFheute

Matthieu Hornung
Matthieu Hornung
Animateur de Sauvons l'Europe en Belgique.

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

1 COMMENTAIRE

  1. Merci Matthieu pour cet excellent « résumé des courses » (allemandes). Rien de simple à l’horizon 2025, pour les sociaux démocrates et les Verts!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également