La Commission européenne a présenté hier un plan de relance de 200 milliards d’euros (1,5% du PIB européen) destiné à aider les pays membres de l’Union à faire face à la crise économique et financière. Ce plan, qui reste modeste par rapport à ce que prévoient les Etats-Unis – qui veulent soutenir le crédit à la consommation et le marché immobilier à hauteur de 800 milliards de dollars, Barack Obama envisageant un effort supplémentaire de 700 milliards de dollars – déploie un effort financier qui s’étalera sur 2009 et 2010. Il doit encore être validé par les dirigeants européens lors d’un sommet les 11 et 12 décembre, et constitue une première avancée, qu’il n’y a pas lieu de rejeter. Le plan prend essentiellement la forme d’une vaste « boîte à outils » dans laquelle les gouvernements pourront choisir les mesures qu’ils souhaitent exécuter: relance par la dépense publique, en faveur notamment des ménages les plus défavorisés, avec par exemple un allongement temporaire des allocations chômage, ou une baisse des charges; baisses d’impôts indirects comme la TVA; incitations fiscales pour favoriser l’économie « verte », avec des actions ciblées pour certains secteurs particulièrement touchés par la crise, comme l’automobile et la construction… Ce plan doit donc être accueilli avec bienveillance : il est bon que l’Union européenne s’investisse dans le soutien de l’économie, et heureux que les mesures prévues représentent plus de 1% du PIB.
Mais il souffre de deux faiblesses structurelles profondes qui ne peuvent que décevoir ceux qui, comme moi, attendent de l’Union une attitude forte et volontaire, et non pas suiviste et attentiste :
– En premier lieu, il ne s’agit pas véritablement d’un « plan de relance européen »: le terme employé par la Commission est un abus de langage, car sur les 200 milliards d’euros prévus, les Etats apporteront à eux seuls 170 milliards. Le budget de l’UE et la Banque européenne d’investissement (BEI), bras financier de l’UE, contribueront à hauteur des 30 milliards d’euros restant. En réalité, le « plan » de M. Barroso consiste, pour une très large part, à emballer et donner un label européen aux plans nationaux de chaque Etat membre. En fait de « plan de relance », la Commission ne propose pour l’essentiel que l’addition des mesures nationales, aucune augmentation du budget européen (1 % du PIB de l’Union) n’étant prévue. La Commission se cantonne ici à une approche faible, qui vise simplement à tenter de limiter les divergences de politiques économiques entre Etats membres et à encadrer leurs pratiques. En d’autres temps (1993), et en plein marasme économique, Jacques Delors avait poussé son « plan pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », avec une ambition toute différente. On aurait pu espérer une augmentation significative du budget, une politique de grands travaux, des investissements renouvelés dans la recherche et l’éducation, une harmonisation fiscale… On aboutit en fait à un mécanisme qui manque singulièrement d’ampleur et d’imagination.
– La deuxième faiblesse du plan, qui est le pendant de la première, est que l’effort doit venir principalement des gouvernements nationaux, qui au sein de l’UE conservent l’essentiel des leviers financiers. Ce qui rend les États membres tributaires, pour le succès de ce plan, de leurs situations budgétaires respectives, qui peuvent largement varier d’un pays à l’autre. La Pologne, l’Allemagne – qui a déjà adopté des mesures pesant 32 milliards d’euros – ont d’ores et déjà émis des réserves. Côté français, Nicolas Sarkozy a indiqué mardi à Valenciennes qu’il présenterait d’ici dix jours les mesures d’un plan de relance « assez massif » de l’activité économique, et qui pourrait atteindre une vingtaine de milliards d’euros. Mais voilà: Nicolas Sarkozy oublie de préciser où, exactement, il entend trouver ses fonds, alors que l’OCDE prévoit un déficit budgétaire français de 2,9% du PIB cette année, et grimpant à 3,9% en 2010, pour une dette publique atteignant plus de 70% du PIB d’ici 2010! Le président bute, encore et encore, sur le péché originel, qui le prive aujourd’hui toute marge de manoeuvre budgétaire, de toute capacité à mettre en oeuvre une relance de l’économie : le paquet fiscal de 14 milliards d’euros du budget 2008. Il est à présent étranglé, pris en cisailles entre une croissance atone et un déficit qui se creuse dangereusement, équation insoluble par définition, mais qu’il aurait pu aborder s’il ne s’était pas accroché, en dépit du bon sens, à un cadeau fiscal aux ménages les plus aisés qui n’en finit plus de démontrer son inefficacité et son injustice.
Les socialistes ont proposé, fin octobre, dix mesures permettant de relancer la croissance économique (modulation de l’impôt sur les sociétés pour favoriser l’investissement productif, mise en place de structures régionales chargées d’impliquer concrètement les banques dans le soutien aux PME/PMI qui ont des besoins de crédits, abrogation du mécanisme de défiscalisation des heures supplémentaires, généralisation du chèque transport, remise en cause immédiate de la réduction prévue dans le budget 2009 du nombre de contrats aidés, retour aux congés de conversion, abrogés par la majorité actuelle, pour tous les salariés frappés de licenciement dans les entreprises de moins de 1000 salariés…). C’est par ce type de mesures d’envergure, centrées sur une relance de la consommation, ambitieuses et globales, que l’économie française pourra traverser la crise. Le Président s’en inspirera-t-il? Encore faudrait-il qu’il accepte de reconnaître ses errements budgétaires. Est-ce vraiment dans sa nature? Poser la question, c’est déjà y répondre.
Pierre Moscovici