Une possibilité pour l’UE : contourner la forteresse américaine

Avec les annonces de Donald Trump du 2 avril, la stratégie économique des États-Unis se précise. Pour ceux qui en doutaient, c’est bien la doctrine économique forgée par Stephen Miran, devenu le président du Council of Economic Advisers, qui trouve un début d’application. La forte augmentation des droits de douane pour la quasi-totalité de la planète (20 % pour l’UE) et la dépréciation du dollar depuis l’investiture du 20 janvier jusqu’au 4 avril (-7,6 % par rapport à l’euro), constituent le premier volet d’un vaste plan destiné pêle-mêle à réindustrialiser le pays, créer des emplois dans le secteur manufacturier, lutter contre le déficit de la balance commerciale et financer le déficit budgétaire fédéral, les fameux « déficits jumeaux » consubstantiels à l’économie américaine. Nous n’en sommes pas encore au second volet qui prévoie l’achat par les gouvernements étrangers, sous la contrainte des droits de douane et sous la menace d’une suppression des garanties de sécurité, des bons du Trésor américain à des conditions léonines. L’achat d’obligations à coupon zéro à 100 ans signifierait, par exemple, un financement gratuit de l’économie américaine pendant un siècle !

Trump et l’économie : des paradoxes qui perdurent

Le premier volet économique déjà opérationnel n’en est pas à un paradoxe près. Passons sur un mode de calcul improbable, le ciblage baroque de certains pays ou territoires, la réversibilité potentielle élevée de ces mesures selon les humeurs transactionnelles de l’administration Trump, l’oubli des échanges de services pour se concentrer exclusivement sur les seuls échanges de biens, ou l’idée contre-intuitive que la domination du dollar dans le système monétaire international est néfaste pour les États-Unis. À ce jour, l’augmentation des droits de douane est renforcée par la dépréciation du dollar. Les deux s’additionnent en quelque sorte et jouent contre les Européens.

Des enseignements ont été tirés du premier mandat de Donald Trump où les droits de douane, qui ciblaient tout particulièrement la Chine, avaient été en partie neutralisés par une stratégie d’implantation des usines chinoises dans des pays non taxés et par la dépréciation du yuan. C’est ce qui explique la quasi-universalité des droits, hormis les pays subissant des mesures de sanction (Russie, Corée du Nord, Iran), et leur niveau très élevé supposé aller au-delà du chemin que peut parcourir une dépréciation du taux de change vis-à-vis du dollar.

Les États-Unis s’érigent donc en forteresse. Un peu comme au Moyen Âge, où des commerçants trouvaient sur leur chemin un château fort qui prélevait sa redevance et promettait la sécurité, la bonne question à se poser est de savoir s’il faut s’acquitter de ces droits, négocier ou contourner l’obstacle et patienter ? N’est-on pas confronté à un château de cartes qui risque de s’effondrer de lui-même ? Il y a, en effet, un problème de calendrier et d’horizon économique et politique dans toutes ses annonces

Les États-Unis ne représentent que 13 % du commerce mondial

Les effets supposés de la politique initiée par Donald Trump sont à moyen-long terme avec une relocalisation des entreprises aux États-Unis qui ne peut être effective qu’à échéance de 3-4 ans, le temps de déployer les investissements. Mais quelle entreprise va vouloir investir dans un pays aussi imprévisible avec un marché du travail proche de l’équilibre de plein-emploi ? Le marché américain est-il aussi incontournable ? Les États-Unis ne représentent que 13 % du commerce mondial. Si l’on se place dans une perspective de court-terme, les effets destructeurs dominent : réorganisation dans l’urgence des chaînes de valeur des multinationales, redéploiement chaotique des courants d’échanges comme lors de l’épisode Covid, panique boursière, décélération de la croissance aux États-Unis et surcroît d’inflation, soit le retour de la stagflation.

Gageons que les entrepreneurs des bigs techs, très exposés aux hausses douanières, avec des produits assemblés à partir de pièces détachées venant de multiples pays, et confrontés à la chute de leur capitalisation boursière, sauront trouver le numéro de téléphone de la Maison-Blanche. Le coup de boutoir peut aussi venir des citoyens américains, victimes innocentes de l’inflation générée par la désorganisation des échanges et par les droits de douane dont ils vont s’acquitter, de taux d’intérêt inévitablement élevés de la Réserve fédérale pour contrer l’inflation, de la chute des marchés financiers où les retraités et aspirants retraités placent aux États-Unis leur capital retraite. Les nouveaux emplois escomptés, eux, attendront la mise en œuvre des investissements. Les midterms vont arriver très vite, en novembre 2026. Le calendrier ne joue pas en faveur du camp républicain qui risque d’être bloqué assez rapidement.

L’UE doit rester le continent d’un marché unifié aux règles stables

Dans ce contexte, que peut faire l’UE confrontée aux débuts de cette guerre commerciale et monétaire ? Car c’est bien l’UE qui est aux avant-postes et non les États membres. Les politiques clés pour y faire face relèvent de la compétence européenne : la politique commerciale commune aux Vingt-Sept et les politiques monétaire et de change pour les vingt pays membres de la zone euro.

Rester uni, ce qui sera à la fois difficile mais facilité par la non-différenciation des mesures douanières : il n’y a point de dispositif atténué pour les Italiens de Georgia Meloni, les Hongrois de Viktor Orban et les Irlandais qui servent de terre d’accueil aux entreprises américaines. Ne pas surréagir, rester le continent d’un marché unifié aux règles stables et prévisibles qui s’érige en contre-modèle à ce qui se passe aux Etats-Unis, un grand marché qui constitue une terre d’accueil pour les investisseurs respectueux de cet environnement ainsi que pour les chercheurs américains. Proposer une réponse graduée, de faible amplitude, susceptible de monter en puissance car, comme le souligne Olivier Blanchard (l’économiste en chef du FMI entre 2008 et 2015) :« Ce n’est pas parce que l’administration Trump se tire une balle dans le pied qu’il y a une raison de faire de même pour l’UE ».

Les prévisions de la BCE tablent sur une baisse de la croissance de la zone euro de 0.3%, qui pourrait aller jusqu’à 0.5% s’il y a mise en place de droits réciproques. Utiliser au besoin l’instrument anti-coercition vis-à-vis des multinationales américaines spécialisées sur les services. Mettre en place un Fonds européen de soutien aux secteurs les plus atteints par les droits de douane alimenté par le surcroît de droits perçus par l’UE. Investir encore plus dans le très important réseau d’accords de libre-échange (42 accords actuellement actifs qui concernent 72 pays partenaires) grâce auquel nous pouvons tenir et constituer un univers alternatif, un regroupement d’une « coalition des volontaires » là où les États-Unis abîment leurs alliances sans états d’âme.

L’Europe dispose d’une « arme monétaire » forte

Et puis les Européens ont l’arme monétaire. L’euro est un des outils de la puissance très important dans ce contexte. Il n’a jamais vraiment été utilisé en tant que tel. Aucun objectif de change ne lui a été assigné mais cette option existe. S’il s’apprécie actuellement vis-à-vis du dollar, c’est parce qu’il constitue une valeur-refuge, au même titre que l’or, en tant que deuxième monnaie internationale. Son taux de change reflète la dégradation des perspectives de croissance de l’économie américaine confrontée à la relance européenne dans le secteur de la défense, à la remise en question du frein budgétaire allemand et aux aménagements du Pacte de stabilité. L’euro peut constituer un amortisseur très important face au choc extérieur du Liberation day.

Si la BCE poursuit la baisse de ses taux directeurs, le soutien à la croissance dans la zone s’en trouvera consolidé, tandis que l’augmentation du différentiel de taux d’intérêt avec les États-Unis (1.75 point actuellement en faveur de la zone euro) permettra une dépréciation bienvenue pour compenser la hausse des droits de douane. Contrairement à ce que dénonce Donald Trump, les Européens n’ont jamais utilisé l’arme monétaire mais ils peuvent le faire si le château de cartes ne s’est pas effondré de lui-même d’ici là.

Marie-Annick Barthe
Marie-Annick Barthe
Marie-Annick Barthe est économiste et maîtresse de conférences honoraire à l’Université Paris Cité.

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5 Commentaires

  1. En attendant il semble, qu’ a priori, le Premier ministre irlandais vole, dès aujourd’hui, vers les USA, et pour être tête de cordée, en matière de cirage de pompes du si violent suzerain américain. Les masques tombent. Un pays prétendument européen, et qui a su en délivrer, avec abondance, une image européiste; c’est à ce niveau, ni plus ni moins, une forme de traîtise, envers l’UE . A plus forte raison, en raison, de leur indifférence à toute construction d’un espace, viable de défense européenne, bien mal masqué, par un très hypocrite (et évidemment pas moins mercantile; surtout en cette époque) « pays non aligné « . Ils empochent les bénéfices d’une UE et, en définitive, en sabotent sciemment, et indifféremment, un consistance – Politique -, devenue si existentielle. Des irresponsables.

  2. Merci beaucoup Madame, le meilleur article dans l’absolu qu’il m’ait été donné l’occasion de lire jusqu’ici : clair, concis et pédégogique. Bravo!

  3. Bravo pour cette analyse remarquable par sa lucidité !
    Manque seulement un volet chinois : comment l’UE peut-elle se protéger contre la vague d’importations chinoises qui, chassées du marché américain par la guerre des droits de douane, vont se déverser sur le marché européen à des prix de dumping ?

    • Bonjour Monsieur PERRON.

      Vous avez raison Mr PERRON, il manque le volet chinois, j’ajouterai un autre volet, comment peut-elle se protéger d’elle même, je m’explique, des divergences existent avec certains états à cause de l’absence d’une unité dans le consensus politique au niveau européen, nous n’avons pas, je le répète inlassablement, un véritable pilote dans l’avion européen qui lui existe dans les nations qui sont de véritable puissances politique et économique (Chine, Inde, USA, Russie, Brésil).

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