Ursula Von der Leyen chahutée pour sa rentrée

Après sa reconfirmation par le Parlement européen le 18 juillet dernier avec un score nettement meilleur que pour sa première élection en 2019 (401 voix sur 719 en 2024 contre 383 voix sur 747 en 2019), Ursula Von der Leyen avait pu partir tout sourire en vacances d’été pour se consacrer à sa famille, à ses chevaux et à ses poneys du côté de Hanovre en Basse-Saxe. Malgré des crises internationales, la Commission européenne parut en retrait pendant l’été, à l’exception peut-être de la passe d’armes entre Thierry Breton et Elon Musk. Dans la torpeur estivale et olympique bruxelloise, seule une possible déclaration de guerre aux loups de la part de la Présidente, après qu’un loup eut déchiqueté un de ses poneys en 2022, semblait promettre un peu d’agitation pour la rentrée des institutions européennes à Bruxelles. Mais ce calme apparent était bien trompeur.

Vers un Collège masculin aux deux tiers

En effet, à son retour de vacances, la Présidente de la Commission se voit confrontée à un score de 16 à 6. Ce qui n’est pas un score de rugby à 7 mais la proportion entre candidatures masculines (16) et féminines (6) reçues de la part des États-membres au 23 août par la Présidente de la Commission Ursula Von der Leyen pour constituer son nouveau collège de Commissaires. Clairement, les gouvernements des États-membres défient l’autorité d’Ursula von der Leyen en s’asseyant sur sa demande de proposer, en cas de non-reconduction d’un commissaire européen sortant (ce que six États-membres ont fait : Croatie, France, Hongrie, Lettonie, Pays-Bas et Slovaquie), une candidature masculine et une candidature féminine.

La défiance est double : non seulement, aucun État-membre n’a proposé deux candidats mais si, scénario le plus probable, le Danemark et l’Italie nomment également des candidats masculins, alors le futur Collège de la Commission sera constitué aux deux tiers d’hommes. L’engagement de la Présidente de constituer un Collège paritaire paraîtra bien chimérique.

La Présidente est-elle mise devant le fait accompli ?

Il est vrai que les traités n’obligent pas les États-membres à proposer plus d’u nom pour les candidats-Commissaires. Cela dit, l’article 17 du Traité sur l’Union européenne (TUE) dispose que « le Conseil, d’un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu’il propose de nommer membres de la Commission ». La Présidente élue détient donc un pouvoir de véto de fait. Mais imagine-t-on qu’à moins de l’éclosion de scandales touchant des candidats masculins, elle prenne le risque de révoquer un nombre significatif de candidatures masculines pour s’approcher de la parité et de se froisser ainsi avec un certain nombre de gouvernements ?

Peut-être Ursula von der Leyen pourrait-elle actionner un autre levier : celui des portefeuilles. En effet, elle a pleine latitude pour les attributions des Commissaires et pourrait donc chercher à renégocier certaines candidatures en échange d’attributions plus significatives.

Des déséquilibres dans le futur Collège

Or, le dépôt des candidatures a été accompagné par une liste de souhaits des gouvernements très concentrée sur des thèmes économiques ou sécuritaires. Le développement durable (à l’exception de la candidate espagnole, la vice-Première Ministre socialiste Teresa Ribeira) et le social semblent des thématiques peu convoitées dans un Collège par ailleurs nettement plus à droite que son prédécesseur. Actuellement, alors que la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Italie et le Portugal n’ont pas encore désigné leur candidat, 12 candidats émanent du PPE et 4 des Libéraux contre seulement 4 pour les Socialistes.

Source: https://x.com/TheGoodLobby/status/1826317701553234031

Outre le déséquilibre en termes de genre ainsi que d’affiliation politique et de priorités thématiques, la Présidente élue est confrontée à la perspective de diriger un collège dont les membres les plus puissants pourraient être ceux qui l’ont directement attaquée en 2024 : Teresa Ribera, qui avait vertement critiqué sa politique climatique, ou Thierry Breton, qui a remis en cause son soutien au sein de sa famille politique pendant la campagne électorale européenne. Au regard de cette inimitié entre Ursula von der Leyen et Thierry Breton, le choix du Président de la République de reconduire ce dernier peut d’ailleurs surprendre. Ce choix fait le 27 juin à trois jours du premier tour des élections législatives, alors que les États-membres avaient jusqu’à la fin août pour transmettre le nom de leur candidat, a pu être interprété comme un affront par Ursula von der Leyen et a par ailleurs privé le Président français d’une option d’ouverture politique après les élections législatives.

La Présidente élue devra arrêter d’ici la mi-septembre la composition du nouveau Collège avant que le Parlement européen ne commence à procéder aux auditions des candidats-commissaires fin septembre. Ces auditions porteront sur les compétences individuelles des candidats et ne permettront pas au Parlement européen de contester la structure même du futur Collège. Le vote final d’approbation du Collège à la majorité simple des eurodéputés réunis en session plénière devrait avoir lieu fin octobre. La nouvelle Commission européenne pourrait ainsi entrer en fonction le 1er novembre 2024 et mettre un terme à une période de flottement de plusieurs mois, liée aux différents plans de carrière des commissaires de la Commission sortante.

S’ouvrira ensuite une phase de réagencement de la Commission européenne au niveau administratif avec un redécoupage des directions générales qui reflèteront les priorités politiques de la Commission et la nouvelle répartition des compétences au niveau du Collège.

De ce fait, la vraie rentrée d’une Commission européenne pleinement opérationnelle ne se fera que début 2025.

Matthias Février
Matthias Février
Fonctionnaire à la Commission européenne

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1 COMMENTAIRE

  1. Merci à Matthias Février pour ces diverses mises en perspective à la veille d’une rentrée institutionnelle riche en développements potentiels, que nous suivrons avec intérêt.

    Juste une petite remarque de la part d’un coupeur de cheveux en quatre: à savoir que, dans les textes officiels, il n’y a pas de trait d’union entre les termes « États » et « membres » – une faute certes vénielle , que l’on est tenté de commettre bien souvent (y compris par moi-même avant de rejoindre le gardien du temple que symbolise le Secrétariat général de la Commission).

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