Le Premier Ministre Mark Rutte a réussi son pari : avec le départ d’Angela Merkel à l’automne prochain, il deviendra le dirigeant le plus anciennement en fonction de tous les pays de l’Union Européenne. Et pourtant, contrairement à la Chancelière, rien ne laissait présager un pareil destin lorsqu’il a pris les rênes du VVD, un parti qui n’avait jusqu’alors jamais remporté les élections dans un pays où le dernier gouvernement dirigé par un libéral remontait à près d’un siècle. Jusqu’en 2010, la vie politique néerlandaise était rythmée par l’alternance entre cabinets dirigés par les Chrétiens démocrates (surtout) et cabinets dirigés par les Travaillistes avec les libéraux conservateurs du VVD et les socio libéraux de D66 dans le rôle de partenaires juniors. Cette élection 2021 constitue donc une nouvelle étape dans le processus initié en 2010.
Rien n’y aura fait : une gestion pourtant médiocre de la crise sanitaire, un scandale autour des allocations familiales ou encore des émeutes d’extrême droite contre le couvre feu n’auront finalement pas entamé la popularité du Premier Ministre. Les libéraux conservateurs du VVD restent largement la première formation du pays, gagnant même deux sièges ce qui est assez exceptionnel lors d’une quatrième victoire de rang. Paradoxalement, le VVD sera parvenu à ne pas souffrir de la politique d’austérité menée avant la crise sanitaire en rejetant efficacement la responsabilité de celle-ci sur le Ministre des Finances Wopke Hoekstra, leader de la CDA, qui aura lui axé sa campagne sur la réduction des déficits. Choix assez inopportun qui aura à contrario permis au Premier Ministre de se recentrer en évoquant des thématiques telles que la défense des services publics ou la hausse du salaire minimum. Le VVD progresse donc principalement aux dépens de son partenaire de coalition qui, pour sa part, poursuit un lent déclin entamé il y a une dizaine d’années.
La seule surprise de ce scrutin somme toute assez prévisible aura finalement été la remarquable performance des sociaux libéraux de D66. Pendant plusieurs mois, ce parti semblait promis à un recul du fait de son association avec le VVD lui faisant craindre la perte d’une partie de son électorat de centre gauche. Mais son changement de leader au profit de la très populaire Sigrid Kaag lui aura été bénéfique. Cette dernière a mené une campagne à la tonalité progressiste, lui permettant de triompher dans les grandes métropoles avec des gains en très grande majorité obtenus aux dépens des Verts au sein de l’électorat jeune, urbain et issu des classes moyennes. Globalement, les deux partis libéraux membres du groupe « Renew Europe » au Parlement Européen cumulent donc 59 sièges, un record historique.
A l’opposé, le résultat n’est pas loin d’être catastrophique pour la gauche, avec au premier rang les Verts qui perdent la moitié de leurs sièges. La gauche radicale ne fait guère mieux en obtenant seulement 9 sièges contre 14 dans la Chambre sortante. On aurait pu souhaiter que ces pertes nettes se fassent au profit des Travaillistes, or il n’en est rien : ces derniers ne font qu’égaler leur résultat de 2017 qui était pourtant leur pire historiquement. Certes, une partie de la gauche a sans doute cru bon de voter « utile » en considérant Kaag comme la seule alternative possible à Rutte. Mais il n’en demeure pas moins que le déclin de la gauche est extrêmement préoccupant avec un score cumulé de 25 sièges pour ses trois principaux partis soit le même au total que celui de l’extrême droite.
Concernant cette dernière, les craintes de gains considérables ne se seront finalement pas matérialisées. Le PVV de Wilders recule légèrement au profit de ses rivaux du FVD encore plus extrémistes. Mais davantage que leur score, c’est la tonalité de leur campagne qui laisse craindre le pire. Depuis son arrivée sur la scène politique, Wilders n’avait jamais tenu un discours aussi radical allant jusqu’à proposer la création d’un ministère de la « re-migration ». Quand au FVD, les révélations concernant la présence d’authentiques néo nazis au sein du parti n’auront malheureusement pas dissuadé les électeurs de leur accorder 8 mandats. On peut supposer que son discours très hostile aux restrictions sanitaires lui aura permis de faire le plein de voix chez les tenants de la théorie du complot.
Comme souvent aux Pays Bas et encore davantage avec les années, le Parlement sera très morcelé avec pas moins de 17 partis représentés. On y retrouvera notamment les animalistes du PVDD, les chrétiens sociaux de CU, la droite dure eurosceptique du JA21, les communautaristes pro Erdogan de DENK ou encore les ultras conservateurs calvinistes du SGP. Parmi les nouveaux venus, il faut signaler l’entrée spectaculaire de Volt, un parti fédéraliste européen qui obtient 3 sièges ou, de façon plus anecdotique, l’unique siège gagné par les agrariens du BBB.
La formation du nouveau gouvernement pourrait être moins complexe qu’à l’accoutumée si l’on considère que le VVD, D66 et la CDA totalisent 74 sièges. Même si elle fut quelque peu fragilisée durant la campagne, l’entente entre les 3 partis parait suffisante pour envisager une nouvelle coalition sur des bases néanmoins un peu différentes avec une CDA affaiblie au profit de D66. Néanmoins, il manque encore deux sièges pour parvenir à une majorité ce qui laisse la porte ouverte à un certain nombre de combinaisons. Le maintien du partenaire actuel, la CU, est improbable compte tenu des désaccords qui l’opposent à D66 sur les sujets sociétaux. Il est à supposer que D66 souhaiterait faire entrer les Verts au sein du gouvernement mais il est délicat d’imaginer ces derniers accepter de rejoindre la coalition après une telle déroute. Le PVDA, pour sa part, maintient pour le moment sa position de ne pas participer à un gouvernement sans les Verts et le SP. L’hypothèse Volt pourrait également être une possibilité mais un tel gouvernement n’aurait pas de majorité au Sénat qui, s’il ne dispose pas de pouvoirs égaux à ceux de la Chambre, peut ralentir considérablement l’action du gouvernement.
Reste un problème particulièrement préoccupant qui n’est pas exclusif aux Pays Bas mais que ce scrutin symbolise bien : la césure entre les classes moyennes et les classes populaires. On a le sentiment qu’un gouvernement tripartite VVD, D66 et CDA représenterait quasi exclusivement les premières, ce qui n’est pas sans poser problème sur fond de déclin de la gauche sur un plan politique couplé à la perte d’influence des syndicats d’une part et de menaces populistes d’autre part.
Merci pour cette analyse des résultats des dernières élections aux Pays Bas. La remarque finale sur le césure de l’électorat entre classes moyennes et classes populaire est intéressante et finalement Pays Bas et France se ressemblent beaucoup. Deux chef de gouvernement et de l’état dans la mouvance libérale de RENEW Europe, confrontés à une extrême droite puissante et une gauche qui s’atomisent au moins en trois partis. Les verts sont plus forts en France mais ils apparaissent assez différents des verts néerlandais et surtout des verts allemands. Pour ces derniers; la victoire brillante de leur candidat en Bade Wurtemberg (troisième mandat) avec un score meilleur que pour les deux autres mandats et leur alliance avec la CDU, monte à quel point verts des deux côtes du Rhin sont différents.
Le point de vue de l’ Europe :
Merci également pour cette excellente analyse. Quelques critiques constructives :
1- rappeler que le systeme electoral est proportionnel
2- un petit tableau synthétique des partis serait le bienvenu (avec une brève description en matière d’affiliation, leurs pertes et gains par rapport à 2017)
Voilà pour les remarques de forme. Sur le fond il me paraît important de regarder ces élections sous un projecteur européen.
L’apport des gains de D66, paraît finalement plus décisif face aux gains finalement modestes (+1%) de l’extrême droite de Thierry Baudet et G Wilders réunis (a rapprocher avec le recul de l’AfD en Rheinland Pfalz et en Baden Württemberg). On peut espérer que la D66 contribuera un peu a limiter l’arrogance du pragmatique Mark Rutte lors des marathons européens.
Par contre la marginalisation des Verts peut surprendre, lorsque l’on compare les résultats en Baden Württemberg et ou même les municipales françaises de 2020.