Vers la fin des blagues belges en France

Dans le match humoristique France-Belgique avantage désormais à la Belgique, où l’on se gausse de la recherche élyséenne d’un « mouton à cinq pattes » pour faire fonction de Premier ministre.

Près de deux mois après les élections législatives anticipées, la France vient en effet d’intégrer le prestigieux TOP 12 du classement mondial des gouvernements démissionnaires avec la plus longue longévité. Certes, il faudra encore quelques 500 jours à la France pour battre le record établi par la Belgique en 2010-2011 avec 540 jours sans gouvernement en plein exercice. Vu de Belgique cependant, où la recherche d’un gouvernement fédéral depuis les élections législatives du 9 juin est toujours en cours (ce qui lui vaut une 9e place au classement mondial), la France semble beaucoup plus prise au dépourvu dans ce « bazar sans nom » (Libération) et la Belgique a bon espoir de remporter contre la France l’édition 2024 de la constitution d’un nouveau gouvernement. Elle dispose de quatre atouts dans ce match.

Source: France sets its new record for longest period under caretaker government (lemonde.fr)

Premier avantage pour la Belgique : l’expérience du multipartisme et une coalition déjà à l’horizon

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique a l’expérience de compromis non seulement à trois, cinq ou sept partis mais aussi entre deux communautés. Ceci est notamment le résultat de son système électoral, à savoir un scrutin proportionnel plurinominal de liste avec vote préférentiel et seuil électoral de 5% dans 11 circonscriptions électorales.

Et depuis juillet, les négociations ont déjà été entamées autour d’une coalition dite « Arizona ».

Le nom a été choisi parce que le drapeau de cet État américain contient les couleurs des cinq partis du parti de la N-VA nationaliste flamande (24), du MR francophone libéral (20), des sociaux-démocrates flamands (13) et des démocrates-chrétiens des deux parties du pays (14 et 11). L’alliance disposerait d’une solide majorité au Parlement (92 sièges sur 150) et refléterait également les coalitions de gouvernement déjà trouvées après les élections du 9 juin en Flandre et en Wallonie.

Deuxième avantage : une méthode de négociation

La Belgique a une routine des négociations avec des procédures et des rôles bien rodés, comme celui des médiateurs ou des (in)formateurs. Par ailleurs, le processus reste piloté par le Roi qui joue un rôle d’honnête courtier. Comme le relève Le Soir, le Roi « n’est pas un président de parti pris, avec les mains dans le cambouis électoral et jouant son propre jeu qui chapeaute les manœuvres, mais un Roi au-dessus de la mêlée, dans un rôle défini par des règles précises. Le Roi facilite, là ou Macron torpille. Le Roi respecte le résultat électoral, là où Macron s’assied dessus. Le Roi écoute tout le monde, là où Macron manipule ».

Troisième avantage des négociations dans le vif du sujet

Comme en Allemagne, les négociations gouvernementales en Belgique commencent par la conception d’une plateforme législative commune. Ce n’est qu’une fois que cette plateforme est négociée et validée par les partis respectifs que sont abordés les maroquins. Ainsi, le différend sur lequel les discussions de l’Arizona ont échoué la semaine dernière porte sur les détails des réformes fiscales nécessaires pour faire face à la procédure de déficits excessifs ouverte par la Commission. Les libéraux francophones ont ainsi rejeté l’option de nouvelles taxes sur les plus-values et la vente de participations dans les sociétés. À l’heure actuelle, le déficit budgétaire s’élève à 4,4% du produit intérieur brut. En l’absence d’économies, il passerait à 5,3% l’année prochaine. Le gouvernement doit présenter un plan de réformes pour le 20 septembre au plus tard. Environ 28 milliards d’euros devront être économisés d’ici à 2029. Cela correspond à un budget fédéral annuel hors dépenses sociales. Les acteurs politiques belges semblent eux bien avoir conscience de cette urgence.

Quatrième avantage : le fédéralisme belge

Si la Belgique a pu fonctionner pendant 540 jours en affaires courantes, c’est aussi parce que l’appareil de l’Etat continue à tourner au niveau des régions et des communautés qui disposent de compétences exclusives notamment en matière d’aménagement du territoire, d’environnement, de logement, d’agriculture, d’économie, de politique de l’énergie ou encore de politique de l’emploi. Les régions et les communautés ont d’ailleurs été très rapides à constituer leurs gouvernements à la suite des élections du 9 juin, qui étaient fédérales, régionales et européennes.

Les paris sont donc pris pour savoir si un nouveau gouvernement sera plus rapidement en place à Bruxelles ou à Paris. Si Bruxelles gagne le match, Paris ne fera certainement pas pour autant du jour au lendemain un copier-coller du modèle belge. Et pour contredire Bénabar, Paris ne sera pas échangée contre Bruxelles. Pour autant une révision du mode électoral français vers une plus forte dose de proportionnelle et une décentralisation plus significative et efficace semblent indispensables pour une plus grande résilience de la démocratie française.

Matthieu Hornung
Matthieu Hornung
Animateur de Sauvons l'Europe en Belgique.

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10 Commentaires

  1. Merci, Matthieu, pour cet édifiant exercice de « barres parallèles ».
    En considération de l’improvisation qui a « présidé » à la dissolution de l’Assemblée nationale, je me permets d’ajouter qu’Emmanuel Macron pourrait volontiers faire sienne la célèbre formule d’Achille Van Acker (ancien Premier ministre socialiste belge): « J’agis d’abord, je réfléchis ensuite »…

  2. Je me permets de relever quelques erreurs et imprécisions dans votre article.
    1. D’où sortez-vous que les Belges (encore faudrait-il que ce concept existe) se gaussent des difficultés politiques françaises et de quel match humoristique s’agit-il ? Peut-être de quelque cénacle franco-belge qui se considère au-dessus de la mêlée et qui ne constitue pas mon univers (je suis de nationalité belge)
    2. Le parti « Vooruit » (En avant), que vous désignez comme social-démocrate, est, en effet, issu, il y a longtemps de l’ancien Parti Ouvrier Belge (devenu Parti socialiste Belge après la guerre). Depuis, beaucoup d’eau est passée sous les ponts (affaires de corruption et autres). Son président et principal négociateur pour le futur gouvernement, Conner Rousseau, est raciste et ne s’en cache pas.
    3. D’après les informations qui ont filtré, Vooruit est prêt à entériner un programme de gouvernement constituant la plus grande récession sociale que la Belgique ait connu depuis la guerre.
    4. Le programme de gouvernement en cours de négociation ne prévoit pas de « nouvelles » taxes sur les plus-values. Ces dernières ne sont pas du tout taxées, ce qui fait de la Belgique un des nombreux paradis fiscaux que tolère l’U.E. en interne.

  3. Indépendamment de quelques corrections mentionnées par mon prédécesseur ( je ne suis pas en mesure d’apprécier), je trouve que l’idée de comparer nos institutions est excellente dans le contexte actuel

    • En effet, une comparaison peut toujours paraître utile, en mettant en évidence les ressemblances et les différences. Du point de vue des ressemblances, il me semble que le point commun de la Belgique et de la France est la nécessaire refondation de la gauche autour d’objectifs clairs nationaux et européens. En France, le NFP me paraît être un bon début à condition de se débarrasser, d’un côté des outrances et vociférations populistes de certains membres la FI et, de l’autre, des pseudo « sociaux-démocrates », prêts à tout pour gouverner, y compris en reniant leurs valeurs socialistes, tels les Hollande, Cazeneuve et autres Delga…. En Belgique, Paul Magnette essaie de redonner des couleurs rouges à un PS francophone éreinté par les « affaires » financières et de corruption. Cependant, au lieu de s’étriper avec le Parti du Travail de Belgique (PTB), il devrait plutôt tenter de collaborer avec lui. En Flandre le PVDA (version flamande du PTB) et Groen (Vert) s’ils constituent jusqu’à présent une gauche à l’électorat trop juste pour pouvoir gouverner, sont pourtant en nette progression.
      Dans les deux cas, union et définition d’objectifs clairs et communs éco-socialistes paraissent les clés nécessaires pour pouvoir à nouveau gouverner et ramener un électorat égaré par l’extrême droite. Malgré les énormes difficultés, l’Espagne semble être sur le bon chemin…
      Dans les deux cas, le problème est beaucoup plus politique qu’institutionnel.

      • Connaissant assez bien la région occitane, j’aimerais bien savoir en quoi Carole Delga renie les valeurs socialistes. Celles de l’époque de Guy Mollet ?

        • Pour faire court, elle est une opposante acharnée d’Olivier Faure dans sa volonté d’union de la gauche (NUPES et NFP). Elle est en outre, une partisane notoire du projet écocide de l’autoroute, entre Toulouse et Castres. Pour ma part, je la range dans le même panier que les Hollande, Vals (qu’elle a d’ailleurs soutenu, en son temps), Cazeneuve, Cambadélis, etc, etc. Cette partie de la social-démocratie, convertie à l’ordolibéralisme.

  4. Merci Matthieu pour cette claire analyse. Je rêve d’une France capable, au moins par moments, de s’inspirer de l’expérience de ses voisins. Tout en gardant en tête nos différences, comme tu l’as souligné à juste titre, en termes notamment de fédéralisme qui a souvent aidé la Belgique à dénouer des crises institutionnelles

  5. Bonjour. Les élections législatives n’ont pas eu lieu le 9 juin mais les 30 juin et 7 juillet. Merci de rectifier. GD

  6. Rebonjour. En relisant l’article, je me rend compte que vous parlez des législatives du 9 juin… en Belgique ! Toutes mes excuses pour cette erreur. GD

  7. Quant à la dimension « européenne » des blagues belges, permettez-moi de souligner:
    – d’une part, que les Belges disent volontiers qu’elles sont prisées des Français dans la mesure où celles-ci seraient les seules que ces derniers seraient en mesure de comprendre
    – d’autre part, qu’au nord de notre continent les mêmes « historiettes » circulent en mettant en scène les Suédois et les Norvégiens. Cela fait sans doute partie du patrimoine culturel européen…

    J’en profite pour faire part d’une constatation découlant des pratiques de consommation d’un quidam partageant une grande partie de son temps entre la Belgique et la France: à savoir que cela fait belle lurette qu’en Belgique on a abandonné le recours au chèque pour régler la facture de ses achats ordinaires. Outre les paiements en liquide à la caisse du supermarché, les cartes (bleues ou d’autres couleurs) sont – si je puis dire – monnaie courante. Du reste, à ces mêmes caisses, en France, figure souvent un panonceau indiquant qu’en raison des fraudes facilitées par l’usage des chèques ces derniers ne sont plus acceptés. Ne serait-il pas temps d’en tirer toutes les conséquences ?

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