Vers une nouvelle crise politique en Italie ?

Le gouvernement Draghi tiendra t-il jusqu’à la fin de la législature, prévue pour le printemps 2023? C’est évidemment la question que se posent tous les analystes de la vie politique italienne. Face au premier écueil délicat de la Présidentielle en janvier, les partis politiques s’étaient finalement entendus sur la solution minimaliste de facilité avec la reconduction – contre son gré – du Président Mattarella mais il était prévisible que les difficultés s’amoncèleraient au fur et à mesure que l’on s’approcherait de l’échéance électorale. Aujourd’hui, c’est l’attitude du Mouvement 5 Etoiles qui inquiète Mario Draghi.

Il faut bien reconnaitre que la crise du mouvement fondé par Beppe Grillo est une constante depuis plusieurs années. D’échecs électoraux en sondages en chute libre, le M5S n’est plus que l’ombre du mouvement qui avait emporté la mise en 2018, devenant à l’époque le premier parti d’Italie. Mais les choses se sont accélérées lorsque les déchirures internes ont finalement abouti à la scission tant redoutée puisque le Ministre des Affaires Etrangères, Luigi Di Maio, a quitté le Mouvement, emportant avec lui une soixantaine de parlementaires. Officiellement, le différend a porté sur la question de la livraison d’armes à l’Ukraine, politique à laquelle le leader du Mouvement, l’ancien Premier Ministre Conte, est opposé quand Di Maio y est pour sa part favorable. Mais si le sujet est d’une importance capitale, on peut supposer qu’il a servi de prétexte puisque les deux hommes étaient déjà à couteaux tirées au moment de la Présidentielle. On peut également imaginer des raisons plus triviales: contrairement à Conte, Di Maio était potentiellement touché par la limitation à deux mandats parlementaires prévue dans les statuts du Mouvement et n’aurait donc pu se présenter à nouveau en 2023 sous les couleurs du M5S.  Quoiqu’il en soit, Luigi Di Maio a annoncé la création de son nouveau parti qu’il veut centriste et non populiste. Le problème pour lui est que cet espace politique est déjà passablement encombré et que son image d’opportuniste est assez ancrée dans l’opinion, lui valant par conséquent une certaine impopularité. Résultat: son nouveau parti plafonne à 2 ou 3% au maximum dans les sondages. Cette aventure n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Matteo Renzi lorsque ce dernier avait quitté le Parti Démocrate, pour un résultat finalement assez similaire.

Mais il n’en demeure pas moins que la scission risque encore davantage de renforcer les populistes au sein de ce qui reste du Mouvement. La position inquiétante de Conte sur l’Ukraine n’augurait d’ailleurs rien de bon, traduisant des remous intenses au sein d’un parti en déliquescence. La rumeur selon laquelle Mario Draghi aurait demandé à Beppe Grillo de « le débarrasser de Giuseppe Conte » a d’ailleurs mis le feu aux poudres et la question d’un départ du gouvernement a clairement été posée. Le ton s’est par la suite un peu apaisé mais le Mouvement a posé un ultimatum au Président Draghi, lui demandant de clarifier un certain nombre de points faute de quoi leur participation au gouvernement serait réévaluée. Fort heureusement, la question ukrainienne n’y figure plus mais des marqueurs forts sur le plan économique et social sont présents tels que le salaire minimum, le revenu citoyenneté ou encore une loi portant sur le pouvoir d’achat. Le Parti Démocrate a réagi plutôt favorablement, Mario Draghi n’y voit rien d’insurmontable mais la droite est évidemment beaucoup plus hostile.

Il faut dire que chacun, bien évidemment, joue sa propre partition. Comme le Mouvement 5 Etoiles, la Lega souffre particulièrement de sa participation au gouvernement Draghi, ayant abandonné sa prépondérance à droite au profit des Fratelli qui sont restés, quand à eux, en dehors du gouvernement. Les désaccords de fond ne manquent pas et, là encore, le parti reste divisé quand à la voie à suivre. Un départ du Mouvement 5 Etoiles pourrait ainsi avoir un effet domino et remettre en question le soutien de la Lega, ce qui condamnerait le gouvernement. Reste qu’une élection immédiate n’aiderait pas forcément Salvini dans son duel à distance avec Meloni pour le poste de Premier Ministre dans le cas où la droite l’emporterait. Et les tensions ne sont pas rares à droite, même si la coalition reste relativement solide, faute de solution alternative.

Quand au Parti Démocrate, il reste le principal soutien du gouvernement Draghi. Loin d’être pénalisé par sa participation à la coalition, le PD a enregistré de bons résultats lors des municipales partielles du mois dernier avec la conquête de Vérone ou encore de Monza, des villes traditionnellement à droite. Le parti dirigé par Enrico Letta reste au coude à coude avec les Fratelli pour la première place dans les sondages et peuvent légitimement rêver du Palais Chigi lors des prochaines élections. Néanmoins, le vrai problème à gauche est que la constitution d’une coalition sera beaucoup moins simple qu’à droite. Et c’est dans cette optique que l’attitude du Mouvement 5 Etoiles est problématique: comme l’ont rappelé les cadres du PD, une sortie du M5S de la coalition signifierait acter l’impossibilité d’une alliance entre les deux formations, les privant ainsi quasiment de toute chance de vaincre la coalition (d’extreme) droite  et condamnant le Mouvement 5 Etoiles à la perte des trois quarts de leurs élus, à minima. De quoi faire réfléchir Giuseppe Conte.

Pour revenir à la question initiale, il est donc probable que le gouvernement Draghi tiendra encore un peu de temps, possiblement même jusqu’à la fin de la législature car les partis qui composent la coalition restent engagés dans un mariage d’intérêts où le risque ouvert par une éventuelle élection anticipée semble encore à ce stade plus important que le gain électoral d’un départ, gain du reste très incertain. Tant que cette situation durera, les tensions n’aboutiront probablement pas à la rupture même si le voyage restera sujet à de nombreuses turbulences.