Clap de fin pour la souveraineté britannique ?

Le Brexit devait être l’occasion pour le Royaume-Uni de retrouver sa souveraineté et de reprendre ses affaires en main. Alors que l’on pensait que chacun aurait à coeur de limiter les dégâts dans un ensemble civilisationnel et économique, le divorce se fait de plus en plus aigre. Sortie de l’Union européenne, fort bien. Sortie de la liberté de circulation, sujet attendu et depuis longtemps point de fixation des gouvernements britanniques. Mais désormais sortie du marché unique et sortie de la convention européenne des droits de l’homme. C’est une rage d’indépendance à tout crin!

L’un des effets négatifs de cette crise est une politique de tracasserie administrative envers les européens ayant fait leur vie au Royaume-Uni. Nombre d’entre eux s’y sont installés il y a dix ou vingt ans, y travaillent, se sont mariés et y ont des enfants. Ceux-là demandent en masse des autorisations de séjour ou la citoyenneté britannique, et les refus se multiplient. Il ne s’agit pas de bureaucratie hors de contrôle et dépassée par le nombre de dossiers, mais bien de la traduction d’un esprit national de rejet, illustré par le projet gouvernemental un temps agité d’obligation pour les entreprises de déclarer leurs travailleurs étrangers. A tous ces gens, on notifie automatiquement des invitations à quitter le territoire. Notons que les britanniques vivant en Europe, largement plus nombreux, ne se heurtent pour l’instant pas à de telles difficultés.

Le débat démocratique anglais est à terre. Les citoyens ont décidé la sortie du l’Union européenne, mais il existe quantité de manières de réaliser cette séparation, avec des conséquences très différentes. Personne ne sera autorisé à en discuter. Ni les parlements des « pays » unis, Ecosse et Irlande du Nord en tête, ni surtout la Chambre des communes! Il a été nécessaire que la Cour suprême soit saisie pour rappeler que la Chambre des communes a compétence pour un sujet d’une telle ampleur et pas le Gouvernement! Là, dès le lendemain le Gouvernement se plie à proposer un projet de loi de 133 mots lui donnant tous pouvoirs.

Et tout ça pour quoi? Quel est le contrôle que ce pays a récupéré sur ses affaires en partant dans cette spirale? Il en est réduit à présenter à l’Europe les mêmes demandes que depuis vingt ans: accès illimité au marché unique sans avoir à en respecter les règles. Ces demandes ont été repoussées à l’époque où le pays était membre, elles ont été repoussées face à la menace du Brexit, au nom de quoi mon Dieu les européens y céderaient-ils aujourd’hui que la Grande-Bretagne ne fait plus partie de la famille et n’a plus de levier diplomatique à opposer? La menace proférée par Theresa May de transformer l’Angleterre en paradis fiscal géant sur le paillasson européen est un pauvre croquemitaine. Un petit pays comme l’Irlande peut espérer que les pertes fiscales seront compensées par une attractivité renforcée, un grand pays ne peut que s’y ruiner.

Il faut donc se tourner vers le grand large pour compenser la perte potentielle du marché européen. Les démarches vers la Chine ont été assez violemment douchées; comme le résume froidement un officiel chinois: « L’Angleterre était la porte vers l’Europe, si elle en sort elle n’est plus qu’une porte. » Heureusement, Trump est venu. Trump aime le Brexit. Trump aime la nouvelle Maggie. Trump n’aime pas l’Europe qui de toute façon va crever. Et revoilà le special partnership reparti comme en 42, l’indépendance au bras des cousins yankee.

Ici, on devient un peu mal à l’aise. Qu’y a t-il exactement dans ce fameux special partnership? On se souvient que Tony Blair a entraîné son pays dans une guerre en Irak après avoir participé à la falsification de preuves apportées devant l’ONU. Quelle sera la position du Royaume-Uni dans une alliance avec une Amérique qui, en quelques jours, vient de confirmer sa volonté de construire un mur avec le Mexique, de ficher les musulmans et de remettre en place des centres de torture dans des pays amis?

Et en matière commerciale, quelle sera la capacité du législateur britanniques à définir de manière indépendante et souveraine ce qui sera ou pas consommé par ses citoyens? Nous commençons à avoir quelque réponse: interrogée au Parlement sur ses lignes de rouges négociation commerciale avec les USA, Theresa May a refusé de se prononcer sur le poulet lavé au chlore ou sur la privatisation des hôpitaux britanniques au profit des entreprises américaines. Ceci en dit long sur l’état d’esprit dans lequel elle envisage ce traité commercial entre « égaux ».

La réalité triste et nue est que le Royaume-Uni, au prix d’une crise de sa démocratie et peut être d’une partition du pays, est en train de quitter l’Europe dont elle était l’un des co-legislateur et dont elle partageait les valeurs, pour se mettre sous la botte d’une Amérique assez inquiétante. Ce n’est pas tout de se dire souverain, encore faut-il avoir les moyens de sa politique.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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7 Commentaires

  1. Le constat, c’est que certains politiques encouragent les électeurs dans une démarche :Nous et nos intérêts d’abord et cela de façon préférentielle à la recherche de la paix et du bien-être de l’humanité.
    Or tous les humains sont interdépendants qu’on le veuille ou non.
    C’est dans le bonheur collectif que chacun trouvera sa place et son bien-être.
    Contrairement à la loi du marché qui prône la compétition, c’est la collaboration qui doit primer dans une volonté commune de lutter contre toute forme d’exclusion.
    Rechercher ce qui unit au lieu de s’appuyer sur ce qui divise.
    Les électeurs, à commencer par ceux qui se réclament “de gauche“ devraient y penser

  2. Quitter l’Europe pour s’allier à Trump, ils ont choisi le rodéo, qu’ils gèrent. A nous de définir clairement notre position. Pour ce qui est du paradis fiscal, nous avons un expert à la tête de la Commission Européenne, je présume qu’il va y réfléchir. Pour ce qui concerne les futures relations économiques, faisons confiance au duo Frau Merkel – Michel Barnier. Il faut vraiment trouver notre place dans le triangle Trump – Poutine – Xi Jinping. Sacré combat.

  3. Trump va faciliter l’émergence d’une Défense de l’Europe, que trop de pays de l’UE avaient confiée à l’OTAN.
    L’UE doit pour ce faire coopérer avec la Grande Bretagne, deuxième armée européenne.
    Le Brexit est et va être une calamité anglaise, et demeure une mauvaise nouvelle eurpéenne.
    La voie choisie par Madame May est aussi interne que le Brexit lui même, son parti conservateur au bord de l’explosion.
    La négociation UE/UK doit être précise et ne pas laisser place à un gagnant-perdant, mais elle ne doit pas non plus rompre les relations avec ce voisin crétin qui va payer très cher son inconséquence.

    Le Brexit est la victoire du passé, des vieux, des peu éduqués, de la nostalgie des temps anciens, et l’effet de la crise qui ravage l’industrie,
    contre l’avenir, la synergie de l’Union, les jeunes qui pratiquent Erasmus,
    contre l’évident bon-sens que partageait Mme May et qui disparait devant l’urgence politicienne.

    L’histoire se souviendra de Cameron, celui qui a créé le Brexit pour un « gamble » politicard, et de May, celle qui en fit un drame pour les mêmes raisons.

  4. outre les rivalités de pouvoir et le nationalisme exacerbé, n’oublions pas que Donald Trump, Theresa May, et le très libéral Jean-Claude Juncker président de la commission européenne, ne sont pas si incompatibles que cela au plan financier : les paradis fiscaux et les banques de l’ombre « shadow banking » pour les anglosaxons, il les connaissent, les protègent car les ont créés avec l’aide des grandes banques, BNP-Parisbas; Banque populaire & Caisses d’épargne (BPCE); Société générale,…notamment pour la France. Gageons qu’ils sauront s’entendre pour sauver leurs intérêts financiers. Ne sont-ils pas en train de négocier un système de tritisation (regroupement de créances d’emprunt pour les transformer en actions spéculatives), système en partie responsable de la crise des subprimes en 2007, sous prétexte de favoriser les prêts aux PME ?
    Arrêtons de montrer les autres du doigt, même s’ils le mérite et hâtons nous de mettre de l’ordre dans la maison européenne avant qu’il ne soit trop tard, notamment d’arrêter le dumping libéral qui ronge les peuples et les pousse à se retourner vers des Trump, des May,… On en a même une en France qui est prête !

  5. Véritable retournement de l’Histoire :la Grande-Bretagne va devenir une colonie americaine et éventuellement un 51eme etat ,après Porto-Rico ..! Marvelous indeed!

  6. « pour se mettre sous la botte d’une Amérique assez inquiétante ». Comme si l’UE n’était pas aux ordres de l’Amérique ! Après avoir été créée par elle…

    • Votre affirmation concernant la naissance de l’UE s’apparente à un « créationnisme » digne des sectaires qui voudraient que le récit biblique de la Création soit pris au pied de la lettre. Lorsqu’on analyse en profondeur les réalités de l’UE on constate que son « évolution » appelle des considérations beaucoup plus nuancées. Vous trouverez chez des historiens comme Gérard Bossuat quelque matière à réflexion à ce sujet. Le témoignage « vécu » de Paul Collowald dans son ouvrage « J’ai vu naître l’Europe » est également riche d’enseignements de ce point de vue. Discréditer d’une façon aussi superficielle l’épopée communautaire revient finalement à… faire le jeu des « trumpistes » de tout poil !

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