François Hollande contre le monstre fédéral

 

C’est le drame de l’été ! Dans la torpeur qui précède la rentrée, François Hollande a livré sa pensée à nos estimés confrères du Monde (article payant) et au passage quelques phrases sur l’Europe, aimablement citées par Fabien Cazenave :

 

Vous avez annoncé au printemps que la France et l’Allemagne prendraient des initiatives sur le front européen. Il ne s’est pas passé grand-chose. Quelles sont vos intentions ?

Des élections arrivent en Allemagne. Le chancelier qui sortira victorieux du scrutin sera là pour quatre ans, le temps qui m’est encore donné. Nous disposons donc de la durée nécessaire pour prendre des initiatives. J’en vois trois : mettre du contenu dans le projet européen sur l’énergie, les nouvelles technologies et la défense ; améliorer le fonctionnement de la zone euro, avec une meilleure coordination des politiques économiques et une harmonisation fiscale et sociale, avec l’instauration d’un salaire minimum ; faire une Europe d’avant-garde qui peut fonctionner à géométrie variable selon les sujets. Pas besoin de modifier les traités pour y parvenir.

À l’approche des élections européennes de mai 2014, comment ces projets peuvent-ils endiguer la montée des populismes ?

À trois conditions. Que nous fassions de l’Europe un espace de croissance et de protection, ce qui éviterait aux populismes de faire de la construction européenne la responsable de nos échecs. Que nous remettions de la confiance dans le destin européen, car quand la France est pessimiste, l’Europe ne peut être d’humeur joyeuse. Voilà pourquoi l’Union ne peut se contenter d’être une structure de gestion avec un budget dérisoire et des règles perçues comme des contraintes : elle doit redevenir un projet au bénéfice des peuples. Enfin, l’Europe doit montrer qu’elle est utile au monde. Ce qui m’a le plus heurté depuis quinze mois, c’est qu’elle soit obligée de s’excuser en permanence. S’excuser de la crise de l’euro, mais aussi de ne pas avoir de croissance, de ne pas prendre d’initiatives politiques… Moi, je ne veux pas d’une Europe qui s’excuse. Je veux une Europe qui s’exprime, une Europe qui soit une référence, un modèle. Une Europe fière d’elle-même.

À terme, cette Europe pourrait-elle être fédérale ?

Je ne vois pas encore suffisamment de volonté de participer à un idéal commun. Je ne crois pas aux États-Unis d’Europe. Commençons à faire en sorte que les États soient unis pour l’Europe.

Ce passage blesse à mort les fédéralistes, longtemps persuadés que François Hollande était l’un des leurs, sous cape. Il n’en était rien et il se révèle seulement un fervent pro-européen, mais totalement dévoué au maintien de la place de la France au Conseil Européen. Même la périphrase « Fédéralisme d’Etats-Nations », grand leg Delorien dont la lumineuse obscurité permettait de clore toute discussion, n’a pas été décrochée de son mur.

Sauvons l’Europe s’est toujours montrée très prudente devant la revendication fédérale, dont le contenu exact est désormais bien lâche. Qu’est-ce que le fédéralisme ? Nous avons mis en commun notre monnaie, nous décidons en commun de nos équilibres budgétaires et la Commission se permet même de suggérer très lourdement quelles politiques sociales nous devons mener. Sommes-nous une fédération ? Une confédération ? Un autre genre de truc ? Au lieu de s’affronter sur des termes, regardons plutôt ce que nous mettons dessous. Et les déclarations de François Hollande deviennent assez compliquées à relier entre elles.

En substance, François Hollande déclare être favorable à :
– l’Europe de l’énergie
– la défense européenne
– une coordination des politiques économiques
– une harmonisation fiscale et sociale
– un salaire minimum européen
– un budget européen digne de ce nom
– des prises d’initiatives politiques fortes

Mais à condition que :
-chacun son rythme
– on ne change pas les traités
– les Etats soient d’accord entre eux
C’est mal barré ! Les deux listes sont passablement contradictoires !

En somme, il y a ce qu’on aimerait faire, les impératifs posés, et puis on va se démerder pour rester vaguement à flot. Sauf qu’on ne restera pas à flot, la crise de l’Euro nous le montre. Dans la crise mondiale, la chute européenne est l’exception dans le monde développé. En large partie, notre panne économique provient de ce que nous avons créé un espace économique européen mais pas d’espace institutionnel. En cas de dérèglement économique, il n y a pas de forces de rappel suffisantes. Sur tous les fronts, taxe sur les capitaux, harmonisation fiscale ou sociale, Europe bancaire, Europe de la dette, nous ne parvenons à faire des choses que trop tard, trop peu, et au bord du gouffre.

Le choix est simple : soit on défait l’intégration économique européenne (par exemple avec le contrôle des capitaux à Chypre), soit on intègre les institutions. Et nous avons pour ce faire un magnifique outil bien connu des foules : la démocratie. Le sujet n’est pas la présence ou non d’une « volonté de participer à un idéal commun » mais tout simplement de décider par le vote des politiques de l’Europe. A l’heure actuelle, l’Europe est largement rejetée parce qu’elle n’est pas démocratique. Quels citoyens ont donné leur aval à cette politique d’austérité tous azimuts ? Elle est imposée à tous par les quelques Etats qui tiennent les cordons de la bourse européenne, et ne veulent pas l’ouvrir. Ce sont les électeurs qui nous diront, en votant, s’ils ont un terrain d’entente global sur ce que doit faire l’Europe, ou s’il y a des divergences irréconciliables. Il suffit de leur demander et ça tombe bien on a des élections dans neuf mois.

Encore faut-il que ces élections soient honnêtes : les partis de gauche comptent-ils faire campagne sur « Et maintenant, l’Europe sociale » pour la huitième fois, puis laisser gouverner les Etats et la Commission ? Les électeurs se sont fait gruger sept fois et ne viendront plus voter. A moins que… la future coalition parlementaire europrogressiste s’engage à désigner une Commission chargée de mettre en œuvre son programme électoral comme dans n’importe quelle démocratie ? Les traités le permettent, et après tout faire à Strasbourg et Bruxelles ce qu’on fait tous les jours à la maison, ça ne doit pas être si difficile, non ?

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9 Commentaires

  1. Si le mot en F est un gros mot dans notre classe politique, c’est pour une bonne raison: il signifie très précisément un renoncement à être ce qu’elle veut être (maîtresse du jeu), puisqu’elle n’a pas d’autre horizon politique que celui de l’Etat-nation, avec l’imaginaire bonapartiste de la Ve République. Les plus audacieux de nos politiques, qu’ils prônent un « gouvernement économique pour la zone euro » ou qu’ils se risquent à prononcer le mot en F, ne peuvent pas aller jusqu’à dire clairement que cette « intégration » politique impliquerait que la légitimité démocratique de la nouvelle instance surplomberait la leur. Implicitement, il s’agit dans leur esprit d’un nouveau machin intergouvernemental (unanimité donc droit de veto donc maintien de la « souveraineté » de chaque Etat-nation) dans une tradition qui remonte au Congrès de Vienne (2 siècles quand même qu’on fait ça… Et ça n’a pas empêché l’éclatement lorsque les « intérêts nationaux » s’opposaient !). Dès qu’il sera question de mettre en pratique les implications réelles du mot en F, rendre le nouveau machin responsable devant le Parlement européen par exemple, on ré-entendra les formules favorites des souverainistes comme « le Parlement européen ne peut être un vrai Parlement démocratique car il n’y a pas de peuple européen », etc. (On cherche un « peuple européen » en sachant d’avance qu’on ne le trouvera jamais. Fin de la discussion.) Si l’on propose une formule ad hoc, par exemple une chambre composée de délégués des Parlements nationaux, on entendra probablement de nouvelles objections, parce que la première difficulté n’est pas de trouver la bonne solution institutionnelle mais d’abord de rendre pensable et acceptable dans nos représentations mentales de la politique un échelon F. Ce n’est pas sur la classe politique qu’il faut compter pour cela. Apparemment, Hollande reste dans cette logique, et il s’en tire par une pirouette, une formule qui est de la même famille que celle de Delors : pas des Etats-Unis d’Europe, des Etats unis pour l’Europe. C’est la même esquive du »saut » fédéral, de l’acceptation d’une légitimité démocratique surplombant l’Etat-nation. (Que l’UE – ou une partie de l’UE – soit potentiellement une fédération d’Etats: certes; une fédération de nations: évidemment; mais une fédération d’Etats-nations: impossible, puisque la notion même d’Etat-nation – souverain westphalien – l’exclut !)

    « Je ne vois pas encore suffisamment de volonté de participer à un idéal commun », dit Hollande. Qui pourra le lui faire voir sinon les citoyens eux-mêmes ! Il s’agit de NOUS fédérer, pas d’ETRE fédérés. On peut comprendre l’incapacité de la classe politique à penser et accepter le F. mais l' »affectio societatis » européenne est largement partagée parmi les citoyens. Sans doute pas majoritaire, dans la situation critique actuelle, mais il n’est pas impossible qu’elle le devienne. (Après tout, le projet de TCE avait été adopté dans pas mal d’Etats, et recueilli presque 50% de suffrages en France. Quoique on pense du contenu, c’était un projet fédéral…). Pas de de « peuple européen », certes, mais la construction d’une « société civile » européenne est possible (elle a même déjà commencé d’exister, on s’en apercevra mieux rétrospectivement, rappelons-nous les mouvements d’opinion en 2003 contre la guerre d’Irak…)
    Les prochaines élections européennes sont peut-être l’occasion ou jamais pour que des coalitions pan-européennes se forment autour d’un projet et d’une candidature à la présidence de la Commission. Ce serait ça, faire du F en pratique, que l’on prononce ou pas le gros mot. Pour ma part, je regrette beaucoup que quelqu’un comme Dany Cohn-Bendit, qui pourrait jouer un rôle décisif dans telle dynamique en incarnant une candidature à la présidence qui aurait du sens, choisisse ce moment là pour rendre son tablier…

  2. Hier à Oradour su Glane, dans l’intensité et l’émotion je pense que ceux qui ont assisté à la cérémonie ont compris toute l’importance de l’union des peuples au nom de l’humanité.
    On ne fera pas l’Europe « malgré nous », seule l’adhésion volontaire des peuples à un projet européen peut être la base d’un édifice solide pour l’avenir.
    Hors si des premiéres pierres ont été posées, elles ont été ébranlées par les divergences nationales et la crise.
    Il est donc de la responsabilité des chefs d’Etat et de la gouvernance Européenne qui la compose de redéfinir le socle Européen et de faire preuve de pédagogie à l’attention des peuples sur des thémes simples et fondamentaux qui emportent l’adhésion et ses conséquences logiques.
    1- La Paix ce qui induit une diplomatie étrangére commune qui induit elle même une armée européenne .
    2- Un espace européen protégé qui induit une frontiére commune et sa défense économique.
    3-Une libéralisation des échanges qui induit une uniformisation fiscale et sociale obligatoirement par le haut dont le coût induit sera mutualisé comme devrait être mutualisé l’endettement des états qui ne pourra être réduit que par la constitution d’une dette européenne et la création de monnaie dont le volume serait répartie en fonction des richesses constatées de chacun, certes au détriment d’une inflation et d’une dépréciation que les pays riches devront accepter, mais qui pourrait être, au contraire, un atout sur les marchés extérieurs. En synthése un reset complet à la maniére d’un ménage surrendetté dont on étale la dette sur une période plus longue pour lui permettre de retrouver l’équilibre qui lui permettra de repartir.
    4-Une relance de la croissance par des grands projets d’équipements intra européens , il y en a, les besoins sont grands particuliérement dans les nouvelles eco-technologies et la recherche.

    La croissance obligatoire car « on ne rembourse pas les dettes d’un hypermarché avec une épicerie ».

    En un môt et sans m’étendre » l’Europe Positive » pour que les européens portent fiérement leurs deux drapeaux celui du coeur et celui de la raison

  3. Dire que nous avions raison et que l’on ne nous a pas écoutés, ça ne sert à rien. Avoir un idéal ne devrait pas empêcher de regarder les réalités présentes.
    Un état utilise des produits interdits depuis 1925 par la communauté internationale, les opinions européennes savent ce dont il s’agit et aimeraient que « quelque chose » soit fait et que cela cesse.

    Ce « quelque chose » ne peut être réalisé que dans le cadre de l’OTAN et son effet va mettre en évidence un second front nécessaire contre des sunnites irréductibles aspirant à une autre forme de société – Le combat passera des airs au sol immanquablement –
    Sommes-nous prêts à annoncer la couleur et vite, à tous les européens ?

    Sinon, nous nous taisons et attendons des jours meilleurs

  4. Je suis tout à fait d’accord : nous ne progresserons qu’avec des actions coordonnées entre États européens, et il existe des possibilités de trouver des alliances. Il reste à obtenir du gouvernement qu’il bouge : vaste programme…
    J’aborde ce sujet dans un article de mon blog : « Les coopérations renforcées, pour sauver l’Europe ! » (http://ecosocpol.blog.lemonde.fr/2013/08/04/les-cooperations-renforcees-pour-sauver-leurope/) et aussi dans un autre article du même blog (« Réforme des retraites et langue de bois politique et syndicale »).

  5. François Hollande a trois raisons principales de ne pas vouloir dans l’immédiat un élargissement institutionnel de l’Euurope.
    Tout d’abord il n’est qu’un chef d’Etat et de gouvernement parmi les autres et un consensus doit être dégagé entre eux sur les questions institutionnelles.
    Ensuite des élections européennes vont avoir lieu en 2014 et un nouveau rapport de forces politique va voir le jour dans le Parlement Européen.
    Enfin le citoyen européen moyen est, me semble t-il, moins sensible à un progrès institutionnel qu’à un progrès plus palpable sur les points de vue économiques, sociaux, culturels même. On l’a bien vu au moment du référendum sur la constitution européenne.

  6. Le 27 mai 2009, lors d’un meeting à Rezé, Ségolène Royal proclamait « Le moment est venu de créer les Etats-Unis d’Europe ». Dans un vrai discours de combat, elle a invité le Parlement européen à se transformer en constituante : » n’écoutez pas ceux qui vous dirons que ce n’est pas votre mandat : les délégués des Etats généraux n’avaient pas non plus reçu mandat de déclarer les Droits de l’Homme, pourtant ils l’ont fait. N’hésitez pas, députés socialistes, à faire entrer l’Europe dans l’histoire. Appelez les parlements nationaux en renfort …… appelez les peuples en soutien. » Hélas, elle n’a pas été entendue.

  7. j’approuve l’analyse: beaucoup d’ambitions pour l’Europe effectivement mais une analyse complètement contradictoire des moyens. Quant à la référence aux valeurs communes, c’est un rien suranné ….
    le besoin de démocratiser les affaires européennes n’a jamais été aussi critique qu’aujourd’hui en raison des choix lourds lourds qui sont faits. L’urgence d’un vrai débat politique n’a jamais été aussi grande, à condition de jeter la pierre dans la marre au plus haut niveau mais qui y est prêt??? tout le monde parmi nos états nations est d’accord qu’il faut de la croissance mais le seul consensus se fait sur des mesures de décroissance, assorties de chimères sur la relance bilatérale du commerce international. La tergiversation, c’est lassant et manifestement, pas à la hauteur des valeurs qui, justement, sont en train d’être laminées (solidarité, cohésion et j’en passe…..).
    Refaire l’impasse sur les élections de mai 2014 serait très irresponsable, j’espère que partis et gouvernements en sont conscients!!

  8. Je souhaiterais y croire, a ces elections europennes de 2014. A une constitution de listes pan-europeennes, a la designation de candidats a la presidence de la Commission, entrainant une plus forte mobilisation citoyenne et de vrais debats.

    Comment toutefois ne pas etre pessimiste ? En France, le FN monte, monte, monte. En Allemagne, AfD fait une percee certes restreinte, mais une percee tout de meme. En Grece, les nazis progressent ; au Royaume-Uni, jamais les jeunes n’ont ete aussi desinteresses de l’Europe, et UKIP est promis a un bon score. Etc, etc…

    Je vois plutot venir un desastre pour le Parlement Europeen : une poussee des partis populistes bouleversant le traditionnels jeux d’alliances entre moderes pro-europeen, et rendant encore plus difficile l’adoption de politiques ambitieuses et coherentes.

    En attendant, les elections sont dans 8 mois et personne, absolument personne n’en parle…

  9. Bonjour,

    Même, si j’approuve en effet certains passages, de votre dossier…

    Comment, se fait-il qu’un homme, qui veut (dans sa tête ?), rester dans l’histoire, en soit encore à calculer, les voix de ses nombreux amis élus, et à venir….

    Une question s’impose, de fait! A QUAND, « Le Président », comme l’interprète brillamment JEAN GABIN. Dans le film, celui-ci s’efface, devant le leurre,
    de notre démocratie, dite d’opinion, et de corporatisme.

    Et cet homme, n’en oublie pas ses principes, immémoriaux !

    La réussite de vos événements, est la plus sûre manière de permettre la cohésion de tout un territoire, pour
    en faire une FORCE : et rappeler que le mystère de la vie, et de la mort, sont immuables.

    Je conclurais, par cette phrase, écrite par LAO-TSEU :

    « La vertu, immuable, ne quitte pas l’homme avec la mort, elle retourne au nourrisson. »

    Cordialement,

    Nathalie MANCEAU

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